LE GANT SOUS TOUTES SES COUTURES

Tableaux de mesures et tailles des gants

La ganterie fait partie de ces savoir-faire précieux qui, malgré les difficultés rencontrées, traversent les siècles en perpétuant la tradition.Trois régions en France continuent à faire vivre ce patrimoine, la région de Grenoble en Isère, celle de Saint-Junien en Haute-Vienne et celle de Millau dans l’Aveyron.

L’histoire du gant est ancienne. Nous en avons pour preuve un gant d’archer – en cuir tressé – retrouvé dans la tombe de Toutankhamon. Bien avant cela, des peintures rupestres, datant du paléolithique supérieur et représentant des formes de protection de la main ont été découvertes dans une grotte près de Marseille[1].

La nécessité de protéger sa main, les usages et les élégances, ont fait du gant, au fil des époques, un objet utilitaire, de bienséance, de coutumes et de mode.

Certaines expressions imagées perdurent telles des témoins de sa place au sein de la société : aller comme un gant, souple comme un gant, jeter ou ramasser le gant, une main de fer dans un gant de velours, etc.

Le musée de la ganterie Jouvin à Grenoble

Entrer dans le musée c’est s’apprêter à découvrir quelques merveilles et à écouter une histoire.

– Celle d’un lieu, une salle capitulaire du 16 ème siècle car à son origine l’immeuble était un prieuré rattaché à l’église Saint-Laurent.

– Celle d’une famille – les Jouvin – avec Xavier, un gantier féru d’innovation qui va dès 1834 révolutionner le métier.

Le gardien du trésor n’est autre que son arrière, arrière-petit-fils, qui raconte aux visiteurs, l’histoire de cette famille, parfois tumultueuse comme peuvent l’être les eaux de l’Isère descendues des montagnes.

Xavier Jouvin a monté sa première entreprise, “ les gants Jouvin” en 1839 avec son demi-frère. En 1843, un associé supplémentaire apportant des capitaux est arrivé et l’entreprise a commencé à augmenter son chiffre d’affaires.

Xavier Jouvin est mort très peu de temps après, en 1844, mais la société qui avait la propriété des brevets a continué son chemin sous le nom “Jouvin et compagnie”.

Son épouse, héritière des brevets, l’a quittée mais continuait à couper des gants exclusivement pour son beau-frère.

En 1849, les brevets sont tombés dans le domaine public et les deux associés ont mis Madame Jouvin à l’écart puisqu’ils pouvaient, à partir de cette date, utiliser la technique librement.

La veuve Jouvin, qui s’est alors retrouvée avec un immeuble, des coupeurs mais plus de débouchés, a créé sa propre ganterie : Veuve Xavier Jouvin et Compagnie. Son beau-frère a eu beau lui intenter des procès pour l’empêcher de le concurrencer, elle les a gagnés et a conservé la marque.

Ainsi en 1849, cette ganterie fabriquait 44 000 douzaines de paires de gants par an sur les 250 000 douzaines fabriquées à Grenoble.

100 personnes étaient employées dans l’atelier Jouvin et plus de 1000 “couseuses” travaillaient à la pièce chez elles.

L’âge d’or de la ganterie Grenobloise

 Entre 1850 et 1870 le chiffre d’affaires de la production de gants à Grenoble passe de 9 à 30 millions de francs et le nombre d’entreprises de ganterie de 75 à 175. Elles réalisent le tiers de la production française.

En conséquence la population de la ville, qui vit de cette activité et de ses annexes comme la teinturerie et la megisserie passe de 27000 à 40000 habitants dont un grand nombre d’ouvriers dédiés cette industrie manuelle.

Sur tous les gants de Grenoble, on trouvait l’indication “Coupe Jouvin” car même ceux qui n’étaient pas de la marque revendiquaient le procédé.

La renommée du gant de Grenoble arrive jusqu’au couple impérial (Napoléon III et Eugénie de Montijo) avec la remise en 1860, par quatre jeunes filles dont Rose Jouvin – fille de Xavier Jouvin – de deux corbeilles de 25 paires de gants. Quatre cinquièmes de la production sort des frontières françaises pour s’exporter Angleterre et aux Etats-Unis.

Aux mêmes dates, la maison Jouvin a deux magasins à Paris, un à Londres et un autre à New York.

A partir de 1880, la société Perrin – une autre grosse ganterie de Grenoble – introduit les premières machines à coudre. Le temps de fabrication d’une paire de gants s’accélère et divise par deux le nombre des “couseuses”.

Deux brevets sont à l’actif de Xavier Jouvin

 Xavier Jouvin a tout d’abord inventé la notion de pointure.

Avant cela, pour fabriquer une paire de gants on posait sa main sur la matière et on tournait autour.

Xavier a commencé par une observation anatomique de mains des patients à l’hôpital de Grenoble.

La prise de leurs mesures a amené à normaliser les tailles : 320 exactement, répertoriées sous la forme d’un tableau breveté en 1834. Auxquelles s’ajoutent des catégories qui représentent le volume : petite main, effilée, grande, large.

Pour trouver sa taille, rien de plus simple, on mesurait le tour de sa main au niveau de la paume et en reportant la mesure sur le tableau on trouvait le calibre qu’il fallait utiliser pour couper le gant.

Tant que le sur-mesure a existé, soit jusqu’à la fin du 19ème siècle, ce système a été utilisé.

Puis avec l’apparition des grands magasins et la vente de gants déjà fabriqués, le nombre de tailles a été réduit.

Le second brevet de 1836 est celui de “la main de fer” utilisée pour couper le cuir. Un étavillon (rectangle de peau) est posé sur cette main de fer et l’artisan tournait autour avec un tranchet pour couper le cuir.

Dès 1838, ce système a été amélioré par une plaque répulsive : tous les doigts sont entourés d’une lame de rasoir ce qui en fait un emporte-pièces. On place le tout sous presse et cela coupe plusieurs peaux en une seule fois.

Connaître la matière pour la travailler

Chez Jouvin et à Grenoble seule la peau de chevreau était utilisée en raison de sa finesse et de sa résistance. Le chevreau élevé en région Dauphinoise, dont les peaux étaient achetées après mégisserie, étaient triées en fonction de leur souplesse et de la finesse de leur grain, puis teintes.

Le “prétant”[2] – 15 % en longueur et de 45% en largeur – détermine le nombre de gants qui pourront être coupés, soit quatre par animal maximum.

Les peaux sont minutieusement inspectées au moment de la coupe pour placer les défauts au niveau des coutures ou des entre-doigts ou fourchettes si on emploie le vrai mot du métier.

Des machines-outils plus un sacré tour de main

Plusieurs machines sont utilisées pour la fabrication des gants.

La “main de fer” bien entendu, les presses manuelles puis électriques – celles de Raymond Bouton Grenoblois qui a inventé le bouton pression – et les machines à coudre et les mains chaudes.

L’étape de la couture demande minutie et finesse que ce soit pour la couture surjet – peaux bord à bord maintenues par un point zigzag -, ou le piqué anglais qui superpose les deux peaux et les pique ensemble. Dans ce cas, la tranche de la peau restée apparente était teinte.

Avant le montage, on pouvait broder le gant pour lui apporter une fantaisie, avec par exemple, le point de Beauvais.

Une bonne ouvrière “sortait” 30 paires de gants par jour.

Et enfin, on glisse le gant sur la main chaude pour le lisser.

Marie-Laurence Sapin

 

 

 

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