Numériser son patrimoine historique permet de le conserver et de le valoriser à la hauteur des égards qu’il mérite.

Musée de Roubaix

Archives du Musée de Roubaix

Pour une entreprise, la numérisation est une action qui s’inclue, à un moment opportun, dans toute démarche de préservation du patrimoine vivant.

Pour comprendre ce que cela implique, nous avons rencontré Émeline Dodart-Gosse fondatrice de Num&Patrimoines qui accompagne les sociétés qui se lancent dans cette aventure.

Études de faisabilité, conseils dans le choix des prestataires puis si nécessaire dans un contrôle qualité, font partie intégrante de ses missions.

L’aide précieuse de cette spécialiste expérimentée qui va guider ceux qui se sentent démunis face aux nombreux choix à faire avant même de mener à bien leurs projets.

Numériser son patrimoine vivant est une protection utile, permet un accès simplifié et rapide à ses archives pour en faire un outil de communication efficient.

Concernant les marques de mode, les archives étant les gardiennes du style, la numérisation prend tout son sens.

 

MLS Conseil : Quel parcours vous a conduit jusqu’à la numérisation ?

Num&Patrimoine : Au cours de mes études en histoire de l’art médiéval, portant notamment sur les manuscrits enluminés, j’ai dû consulter beaucoup d’images. Alors qu’à cette date la numérisation en était à ses balbutiements, la base Mandragore de Gallica[1] existait et j’ai pu y trouver les éléments nécessaires à mes recherches. De là, un nouvel intérêt a surgi : mixer l’histoire de l’art et les nouvelles technologies.

Puis, le Master Pro sur la numérisation dans lequel je me suis engagée, m’a passionné et m’a permis d’accéder rapidement à un premier poste à la Bibliothèque Nationale de France en tant que chargée de numérisation.

 

MLSC : Qu’est-ce que l’on appelle la numérisation ?

N&P : Numériser signifie rendre accessible d’un point de vue numérique tous types de documents. Ainsi, ils seront consultables, pour différents usages, dans des bibliothèques virtuelles, à partir d’un ordinateur.

Techniquement les possibilités sont nombreuses. On peut évidemment numériser des documents papiers – affiches, croquis, rouleaux de papyrus -, mais également des films – micro film, ektachrome -, ou encore les plaques de verre servant à la photographie.

Concernant les objets, en complément ou en substitution d’une prise de vues en 2D, il est possible de numériser en 3D. Cette dernière option permettra de pouvoir modéliser les objets puis de les faire tourner sur son écran pour se rendre compte de leurs volumes et de leurs proportions. Un travail sur les structures pour obtenir des rendus très réalistes est alors fait.
MLSC : Pourquoi décide-t-on de numériser ?

N&P : Au départ il est important de définir l’intérêt de la numérisation. Celle-ci doit répondre à un besoin et/ou un objectif et s’encadre dans un projet.

Pourquoi dématérialiser ? La réponse la plus simple à cette question est : pour sauvegarder son patrimoine. C’est évidemment vrai et les raisons qui justifient la protection sont nombreuses.

Citons le cadre de la gestion des risques (incendie, vol, inondation, déménagement), ou le cas d’une cession ou revente de l’entreprise (un patrimoine numérisé sécurise un acquéreur). L’intérêt juridique est aussi considéré parce qu’un document numérique peut servir à prouver un savoir-faire technique ou une création. Cela permet une réponse rapide et moins couteuse si une procédure est engagée. On connaît tous le problème des copies.

Il convient aussi de prendre conscience que des archives numérisées sont facilement exploitables. Une aubaine pour les services de communication interne et externe dont les besoins sont permanents.

En terme de valorisation, monter une exposition ou faire un film sera plus rapide à partir d’images disponibles et puis partager l’histoire de l’entreprise avec ses salariés se révèle bien souvent fédérateur.

Dans tous les cas, engager un programme de numérisation demande de préparer ses fonds.  Cette première démarche est elle-même très bénéfique car elle permet d’organiser ses archives et s’interroger : qu’est-ce que j’identifie d’important dans mes archives que je veux protéger ?

 

 

MLSC : Que préconisez-vous aux entreprises qui envisagent une future numérisation ? Y-a-t-il des précautions à prendre ?

N&P : Je conseille toujours de porter attention à tout ce qui va constituer son fonds d’archives.

Rassembler les documents dans un même lieu de stockage, être vigilant à l’humidité, la lumière et les variations de température. Il est préférable d’être dans un endroit un peu trop chaud mais à température constante, qu’un hangar où les écarts vont être importants.

Enregistrer les données sur un tableur par thématique : création, commercial, publicité, presse, etc…….

Identifier ses procédés de création de produits et de fabrication et ne pas oublier de dater tous les documents.

 

MLSC : Qu’est-ce qu’une entreprise peut faire à partir ses archives numérisées ?

N&P : Le simple fait que l’on choisisse de rendre disponibles ses informations à partir de sites ou de plateformes digitales ouvre des possibilités infinies et pour une audience internationale.

Les chercheurs, historiens, étudiants auxquels l’entreprise pourrait donner un accès complet ou partiel, pourront être dans n’importe quel pays du monde. À partir de cela on peut tout imaginer !

 

MLSC : Y a-t-il un intérêt spécifique pour les entreprises du secteur textile et mode ?

N&P : Il est évident !  Les bureaux de style s’appuient sur les créations historiques de la marque pour s’en emparer et les revisiter. On peut aussi numériser des textiles.

Une nouvelle fois le gain de temps est appréciable car des images indexées correctement se trouvent vite. Dans un classeur classique, le rangement des collections se fait par saison. Avec une option dématérialisée, on va utiliser les mots clés : « robe, crêpe, 3 trous » et les réponses apparaissent, multiples. Tous les dessins de ces robes, leurs fiches techniques, une photo, la date de création, etc…… et éventuellement le produit en 3D.

 

MLSC : Prenons un cas d’école très précis, celui une entreprise de tissage qui édite beaucoup de modèles de tissus. En quoi le fait d’avoir ses textiles numérisés constitue une valeur ajoutée pour ses clients ?

N&P : Je dirais simplement pour répondre vite, mieux et plus à son client. Le gain de temps pour que les équipes de style puissent faire une proposition rapide au client est indéniable.

Il est aussi possible d’utiliser un catalogue numérique pour la prospection commerciale.

 

MLSC : Quel est le moment adéquat pour une entreprise de démarrer la numérisation de ses archives ?

N&P : Les entreprises au patrimoine historique ancien et important fonctionneront par campagnes car le travail sur le rétroactif peut être long et couteux. Mais tout est possible. Lorsque je discute avec mes clients, on évoque le minimum mais aussi le maximum. Il choisit où il met son curseur. Je le conseille sur ce que je considère comme essentiel.

Pour les entreprises plus récentes, nous sommes sur une question d’archivage électronique puisqu’elles travaillent déjà avec les solutions digitales. Dans ce cas, l’accent sera mis sur le produit fabriqué et la campagne de numérisation pourra être faite à chaque fin de saison.

Si les grands groupes du luxe mettent l’accent sur la numérisation pour toutes leurs filiales c’est qu’il y a un vrai retour sur investissement. Certes ils possèdent un budget, mais ils n’investissent pas ces sommes d’argent sans raison.

[1] Gallica est la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France. En libre accès, elle regroupe des livres numérisés, des cartulaires, des revues, des photos et une collection d’enluminures. Source Wikipédia.

ForWeavers : un projet de préservation du patrimoine culturel immatériel

Alexandre Sattler-15

Préserver les identités et diversités culturelles, c’est favoriser le maintien des personnes dans leur lieu de vie, leur village, leur région ou leur pays. Cela signifie également faire reculer l’uniformisation, une des conséquences néfastes, qui s’est pourtant imposée, de la mondialisation. L’industrie de la mode, devenue extrêmement polluante[1] pour satisfaire une course excessive à la consommation, sait dans certains cas utiliser les ressources de la nature et les savoir-faire artisanaux pour protéger la planète et ses habitants. Entreprendre dans ces deux directions se concrétise par la recherche, la détection et la sauvegarde dans 24 pays du monde 36 textiles naturels aussi précieux qu’uniques.

 L’objectif de ForWeavers est la préservation du patrimoine culturel immatériel. Selon la définition de l’Unesco[2], cela comprend  « les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle,  les pratiques sociales, les rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel » . La préservation des textiles rares se range dans cette définition. En France par exemple les tapisseries d’Aubusson et les dentelles d’Alençon sont classées par l’Unesco, respectivement en 2009 et en 2010.

 Nous avons rencontré Ali Rakib, qui est à l’origine de ce projet un peu fou et qui depuis plus de 5 ans parcourt le monde pour identifier ces textiles, ceux qui les confectionnent dans le but de les proposer à la haute couture internationale. Depuis, nous savons que parfois il faut savoir suivre son destin et que tisser est aussi un acte spirituel.

 

 Pressenza Quelles sont les origines de ForWeavers ?

Ali Rakib : Au Moyen Age, des guildes[3] des différents métiers existaient regroupant ainsi les forgerons, couturiers, etc… ForWeavers peut être considéré comme une version moderne de guilde internationale des tisserands. Cette plateforme, qui va proposer à la vente des tissus d’exception, permet au tisserand qui peut être situé au fond de la jungle de Sumatra, de se consacrer uniquement à son art et son savoir-faire, le tissage. Le défi est de trouver des débouchés pour ces tissus auprès des créateurs de mode qui sont à la recherche de matériaux purs en alternative aux textiles artificiels et synthétiques. Une soie dont l’unicité est réelle, dont le toucher et le bruit sont nouveaux, crée de l’émotion chez ces créateurs attentifs à l’authenticité. ForWeavers devient le trait d’union entre les tisserands les plus isolés du monde et les créateurs les plus inspirés de France ou d’ailleurs.

 

D’où est parti ce projet et qu’est-ce qui l’a motivé ?

A.R : Enfant, lors de mes vacances d’été dans ma famille berbère du sud du Maroc, je me suis rendu compte que les jeunes générations quittaient le village au profit d’un travail en ville et qu’ils ne revenaient pas. De plus, ils posaient un regard très négatif sur leur propre culture, considérant que moudre du blé ou tisser à la main était archaïque. Le tee-shirt à la mode ou la « high-tech » avaient à l’inverse la force d’attraction de la nouveauté et d’une vie plus facile. Le risque de disparition de toute cette culture riche de chants, de savoir-faire, de dialectes, de danses, de recettes de cuisine et de rituels m’attristait profondément. Et j’ai eu vite conscience que cela touchait tous les pays du monde. Pour moi, ces identités et diversités culturelles font toute la différence entre un être humain d’un robot et méritent d’être maintenues.

J’ai pensé possible de stopper cet exode rural mû par nécessité économique en cherchant à soutenir le travail dans les villages.

J’ai tout d’abord étudié le marché du thé, qui s’est avéré compliqué et ne touchait pas tous les pays. J’ai alors choisi le textile qui est tout aussi ancien et surtout commun à tous les êtres humains.

Pour conserver les savoir-faire liés au tissage, il faut préserver les populations elles-mêmes. ForWeavers permet aux tisserands de rester dans leurs villages en répondant aux commandes qui leur sont passées. Ils tissent et ils teignent de façon naturelle avec des végétaux et de minéraux. De ces matières pures, de ces savoir-faire savamment et longuement exercés surgissent des tissus remarquables, attendus par un marché exigeant. Conscients de la nécessité d’une continuité de ce mode de vie, les anciens prolongent l’acte de tisser en transmettant leurs techniques aux plus jeunes, favorisant ainsi la communication intergénérationnelle.  Et ce qui se lègue aussi, plus subtilement, sont les histoires qui racontent les dessins des tissages.

P : Comment ForWeavers se situe-t-il par rapport aux 3 piliers du développement durable[4]  ?

A.R : Pour le début de l’aventure et afin de les protéger, nous souhaitons que tous nos partenaires tisserands restent autonomes, ce qui signifie qu’ils vendent leur production textile à d’autres clients. Il va de soi que nous veillons à ce qu’ils puissent payer l’école des enfants et avoir accès aux soins médicaux. À terme, ils pourront choisir d’être salariés de la coopérative ForWeavers qui deviendra elle-même productrice. Notre objectif n’est pas de faire de profits indécents.

Lorsqu’il s’agit de jeunes femmes qui n’ont pas pu aller à l’école, à l’inverse des garçons, apprendre à tisser est une forme d’éducation informelle car elles apprennent à compter (métrage des fils) à lire, à créer. Elles pourront devenir autonomes  dans un contexte social qui les maintient en dépendance de leurs maris ou de leur famille.

La dimension écologique peut être illustrée par un exemple simple : les arbres fruitiers tels que le bananier, le lotus, la papaye et l’ananas donnent des fruits que l’on mange, mais leurs feuilles ou leurs troncs donnent des fibres que l’on peut transformer en fils pour les tisser. Cela évite le pourrissement du tronc qui attire les moustiques porteurs de maladies.

Chine, dans la province du Yunnan, une femme dans son champ à contre jour.

Chine, dans la province du Yunnan, une femme dans son champ à contre jour.

P : Comment déniches-tu ces tisserands qui peuvent se situer dans des régions reculées ?

A.R : Je voyage depuis longtemps pour me reconnecter à la nature et cela a été l’occasion de découvrir des tisserands. Je commence toujours par discuter avec les taxis qui connaissent toute leur région, leur culture et bien souvent une personne qui fabrique du tissu. Comme c’était très chronophage, j’ai établi une cartographie à partir des centres ressources de l’Unesco, des Nations unies et d’ONG dont les employés connaissent le terrain et deviennent des relais. Au Népal par exemple, j’ai travaillé pour Handicap International. Certains de mes collègues étaient présents dans le pays depuis 20 ans, le connaissaient par cœur, parlaient 3 ou 4 dialectes différents et bien entendu étaient aussi connus de la population. De fait, ils étaient de très bon conseils pour mon sourcing.

 

P : Comment arrives-tu à comprendre les codes des autres cultures pour qu’une confiance s’instaure entre toi et tes interlocuteurs ?

A.R : Au cours de mes voyages, j’ai toujours eu l’habitude de m’immerger dans la culture locale pour la découvrir. Il est souvent bénéfique d’observer et de chercher à comprendre même si en règle générale, les habitants sont très tolérants envers les voyageurs. Il convient d’être attentif et savoir respecter par exemple, dans un village Dogon, les coins qui appartiennent aux esprits. Y mettre les pieds signifie leur porter préjudice. Les guides sont très importants car ils peuvent expliquer beaucoup de choses. Lorsque je trouve un tissu, je cherche toujours à savoir quel est son rôle dans la société. Certains tissus sont vraiment liés à l’histoire du village. Les proposer à la vente me parait inadapté car ce sont des artéfacts archéologiques qui pourraient avoir leurs places dans un musée. De plus, il m’a semblé reconnaître dans les yeux des anciens que c’est une sorte de sacrilège. Pour cela, je préfère les refuser.

À l’inverse, il arrive que j’essuie aussi un refus. En Amazonie brésilienne, je suis tombé sur un coton naturellement orange avec une fibre extrêmement longue qui permet de développer un tissu d’une grande finesse. Dans ce cas, le village a estimé qu’il vivait sans nécessité d’une quelconque assistance économique. Et bien que déçu de ne pas avoir le tissu, j’étais content qu’ils soient en capacité de le dire. D’autres fois, dans certaines cultures matriarcales, je n’ai pas eu accès aux tissages car c’est contrôlé par les femmes. L’accès n’est pas permis aux hommes, il faut l’accepter.

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P : Les différentes techniques de filage et tissage sont-elles identiques ?

A.R : Revenons aux sources et parlons technique. Beaucoup d’échanges de marchandises ont eu lieu avec la très ancienne route de la soie[5] et cela a favorisé les maillages. Historiquement, il y avait des similarités régionales sur le sens de torsion du fil. Les Occidentaux avaient l’habitude de torsader le fil de gauche à droite sous forme de Z et les Orientaux de droite à gauche sous forme de S. À partir du 15ème siècle, en Italie, on trouve des tissus avec des mélanges de fils torsadés dans un sens ou dans l’autre. Les savoir-faire se sont croisés et mêlés. On remarque aussi un lien entre l’écriture et le tissage. L’écriture asiatique est verticale en allant de haut en bas et l’écriture mésopotamienne est horizontale, de gauche à droite ou de droite à gauche. Le tissage a suivi le même cheminement, il est vertical en Asie et horizontal dans le croissant fertile. Cette théorie ne fait pas l’unanimité mais semble assez solide.

 

 P : Qu’est-ce que cette aventure raconte de toi ?

A.R : En observant mes grands-parents inquiets du devenir du patrimoine familial et de la perte probable de la langue berbère, j’ai pris conscience qu’il fallait produire un changement. Puis parcourir le monde, parfois dans des conditions extrêmes, m’a ouvert les yeux et je pense maintenant regarder l’être humain avec un œil d’anthropologue, plus compréhensif. Ma mère était brodeuse au Maroc puis en France et mon grand-père était chercheur d’eau et d’or. On peut dire que leurs histoires se perpétuent à travers ma propre recherche de pépites, mes envies d’exploration, ma passion des rencontres et des savoir-faire. Aujourd’hui après avoir exercé plusieurs métiers, j’ai la sensation d’avoir rencontré ma vocation ou mon dessein. Je sens que je suis fait pour cela et je suis très content de le vivre.

 

P : En quoi cela a-t-il modifié ta vision du monde et de l’être humain ?

A.R : C’est tout ce que je viens de raconter qui a changé ma vision du monde ! Au cours de mes périples, j’ai partagé des bouts de vie avec beaucoup de personnes et j’ai rencontré d’autres formes de bonheur, de réflexion et d’intelligence. Ma démarche scientifique et anthropologique m’a à appris de poser sur le monde un regard sans haine.

 

P : Qu’as-tu remarqué concernant la dimension spirituelle du tissage ?

A.R : Des tisserands m’en ont parlé mais ce sujet reste intime et culturel. Ce que la spiritualité signifie pour un chamane amazonien peut être très différent de notre définition. Les broderies shipibo en Amazonie ou le tissage d’orties (la ramie) en Corée sont façonnés selon des motifs chamaniques. Une tisserande française (Maïté Tanguy) avec qui je partage mes découvertes des nouveaux tissus sait lire en eux en les touchant. Un jour, elle  pose sur sa joue un tissu écru d’ortie japonaise et me témoigne qu’à cet endroit précis du textile la tisserande a eu beaucoup de souffrance, et puis plus loin sur la pièce qu’une autre a pris le relais sur le métier, puis une troisième puis de nouveau la première qui est revenue avec un autre état d’esprit.

En Inde, pour préserver et transmettre leurs techniques de tissage, cela passe par le chant. L’atelier entier chante à l’unisson. Un mot signifie un nœud, un autre indique un croisement de fil ou un changement de couleur. Selon mon point de vue, c’est quasi scientifique. Mais je sais que le tissage est une forme de méditation tout comme je le ressens pour moi avec le dessin.

 

[1] Note de l ‘auteur : traitement chimique des tissus, teintures, tannage du cuir, matières premières chimiques, transport des produits, pollution de l’eau, surproduction avec problèmes de recyclage des déchets.

[2]UNESCO signifie United Nations Educational, Scientific and cultural Organization (Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture. L‘UNESCO est une institution spécialisée de l’Organisation des Nations Unies. Sa mission est d’aider à la construction de la paix, lutter contre la pauvreté et promouvoir le développement durable et le dialogue interculturel.

[3] Au Moyen Âge, la guilde est une association visant à procurer à ses adhérents de meilleures conditions commerciales. ». Source dictionnaire Larousse

[4] Le rapport Brundtland en 1987 définit le développement durable comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. » Source : www.developpement-durable.gouv.fr

Le développement durable doit être à la fois économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement tolérable. Le social doit être un objectif, l’économie un moyen et l’environnement une condition.

[5] Historiquement, on considère que la Route de la Soie a été ouverte par le général chinois Zhang Qian au IIe siècle av JC; l’empereur l’avait envoyé sceller une alliance avec les tribus situées à l’ouest du désert de Taklamakan. La Route de la Soie était un réseau de routes commerciales entre l’Asie et l’Europe allant de Chang’an (actuelle Xi’an) en Chine jusqu’à Antioche en Syrie. Elle doit son nom à la plus précieuse marchandise qui y transitait : la soie, dont seuls les Chinois connaissaient le secret de fabrication. Source : http://www.edelo.net/routedelasoie/route_soie.htm.

 

De la matière à l’objet, découvrir toutes les richesses des métiers d’art

 

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L’intérêt grandissant pour les métiers alliant savoir-faire et création se confirme. En témoignent les divers évènements destinés à favoriser les rencontres entre professionnels, à faire connaître et valoriser les métiers de la main auprès d’un large public et à révéler de nouveaux talents.

Journées européennes des métiers d’arts, Paris Design Week ou encore Designers Days, les initiatives se multiplient. Elles sont présentes sous des formes diverses associant expositions, parcours, conférences, workshops, démonstrations de savoir-faire et projections de documentaires.

Le second week-end du mois d’octobre a été riche de ces manifestations en Ile-de-France avec deux premières éditions : les « Journées des savoir-faire d’Excellence » pour les dix ans du label Entreprises du Patrimoine Vivant et les journées de l’artisanat à Belleville.

Il était également possible de profiter de la treizième édition des portes ouvertes des ateliers d’artistes montreuillois et de la quatrième édition de la désormais installée biennale des métiers d’art à Pantin renommée Émergences.

Autant de moments d’échanges et de partages avec les acteurs de ces métiers qui sont toujours prêts à parler de leur art et de leurs démarches à des visiteurs friands de comprendre ce qui les anime.

Des conversations autour des sources d’inspiration, du lien entre l’artisan et la matière qu’il travaille, de la trace de sa sensibilité dans sa création, et en conséquence de l’histoire que raconte l’objet créé ou encore de ce que l’action de fabriquer révèle de soi-même ont été entendues partout où ces manifestations ont pris place.

Des tables rondes ont proposé des réponses à des questionnements :

Quelle est la rémunération juste pour les artisans d’art ?

Quelles sont les innovations dans le secteur de l’artisanat d’art ?

Quels sont les enjeux de l’artisanat au cœur de la ville ?

Qu’est-ce que le e-textile ?

Et enfin des conférences sur les nouvelles recherches autour de la teinture naturelle ou la nécessité d’un incubateur pour accompagner les jeunes marques de mode ont apporté des informations appropriées aux besoins et préoccupations actuelles de tous ceux qui travaillent dans le secteur.

Ces expositions et rencontres ont été également l’occasion de mettre en avant des métiers pour lesquels la valeur du temps compte. Le temps infini de l’apprentissage du geste et de la matière mais aussi le temps incompressible de la réalisation de l’objet.

Un temps auquel s’associent la patience, l’habileté, le soin, la préoccupation du travail bien fait et du renouvellement indispensable.

Depuis toujours les artisans d’art qui reçoivent en héritage les techniques de leurs ainés, ont su se les approprier pour avancer sur de nouveaux chemins. Inventer de nouveaux designs et tester des associations de matières singulières permet de générer des dialogues entre les matériaux et leurs créateurs.

Ces visites offrent toujours une jolie parenthèse et témoignent d’un renouveau des métiers d’art qui petit à petit reprennent leur place au cœur des villes et constituent ce que l’on appelle l’économie créative.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le retour du bleu de travail dans les collections de mode : phénomène de mode lié à une recherche d’authenticité ou hommage aux ouvriers des manufactures ?

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Crédit photo : nypl.digitalcollections

Dans les collections récentes et à venir, les vêtements inspirés du « bleu de travail » se taillent une jolie place au sein des marques de mode.

Curieuse de l’histoire de marques anciennes comme récentes, ce « fait de mode » m’a d’autant plus interpellé qu’il est récurrent même si c’est à intervalles non réguliers.

Il suscite donc quelques commentaires et je vous livre les miens, espérant en retour, vos remarques.

 

Le bleu de travail est né à la fin du 19ème siècle avec l’essor industriel.

C’est un vêtement professionnel pratique, économique et résistant pour assurer la protection et la sécurité des ouvriers. Il indique aussi, tel un uniforme, l’appartenance de celui qui le porte au monde ouvrier. Sa couleur, le bleu de Prusse, peu salissante et au coût de production peu élevé était déjà utilisée pour d’autres métiers manuels pour les marins, les facteurs et militaires.

Au même moment le blue-jean sous forme de salopette apparaît aux États-Unis comme étant la tenue des ouvriers américains.

Lors des manifestations de mai 1968 les étudiants ont adopté le bleu de travail en solidarité avec les ouvriers.

 

Aujourd’hui on retrouve des vêtements, inspirés des salopettes, pantalons et combinaisons de peintres, vestes de charpentier et vestes de comptoir, bleus de chauffe, gilets de serveurs, avec une esthétique qui bien que modernisée reste fidèle aux originaux en conservant les poches pour porter les outils.

Quelques marques iconiques dans le secteur résistent comme Adolphe Lafont (1844), Bragard (1933), Duthilleul et Minart (1859) ou Vetra (1927) mais adaptation au marché oblige elles parlent plus de vêtements d’images que de bleu de travail.

 

Certains créateurs, comme Marithé et François Girbaud[1], se sont emparé du jean, l’ont transformé en lui donnant un aspect usé et en ont fait un vêtement du quotidien.

 

Plus récemment Sakina M’Sa[2], créatrice de mode, très impliqué dans le développement durable, recycle le bleu de travail et le détourne pour créer de nouvelles pièces avec l’intention clairement annoncée de faire passer les travailleurs de l’ombre du coté de la lumière.

 

Bleu de Paname, marque pour homme de fabrication française lancée en 2009 écrit sur son site : « un vêtement de travailleur « updaté » pour accompagner le labeur et la détente d’une nouvelle génération d’urbains, aux talents et modes de vie multiples ». Les deux fondateurs se sont inspirés des vêtements de travail qu’ils ont vu portés, durant leur enfance, par des membres de leurs familles.

 

Arpenteur, autre marque française créée en 2011, qui s’inspire de vêtements de l’époque comprise entre 1920 et 1950, a quant à elle mis le bleu de travail dans ses basiques.

 

Anne Monjaret, directrice de recherche au CNRS lors d’une conférence « La vie en bleu : expression de l’identité ouvrière »[3] se demande  « Que nous reste-t-il des bleus de travail ? »

 

Alors phénomène de mode lié à un besoin d’authenticité ou hommage aux ouvriers des manufactures ?

Sans doute un peu des deux car la mode est souvent liée à des faits sociaux.

La définition littéraire du mot « mode » du dictionnaire Le Petit Larousse dit que c’est une manière de vivre, de se comporter, propre à une époque, à un pays.

Si une personne porte une veste type bleu de travail, même si celle-ci est revisitée, elle veut probablement faire passer un message même s’il n’est pas toujours conscient.

 

Il y a indéniablement une tendance affirmée au casual pour allier décontraction et confort, et une volonté de revenir à une production française.

Un peu de « branchitude », probablement et espérons-le, une intention de revaloriser les métiers manuels qui aujourd’hui font cruellement défaut.

Je crois aussi à une petite part de nostalgie de la part des jeunes créateurs même s’ils s’en défendent.

Et comme les tissus utilisés sont très solides, que leur durée de vie est longue et qu’ils restent beaux en vieillissant les bleus de travail seront là dans le futur, recyclés et prêts pour de nouveaux usages.

Marie-Laurence Sapin

[1] Teaser de l’exposition « L’autre jean » de Marithé et François Girbaud – Saint Etienne octobre 2012 à mai 2013 : https://vimeo.com/57137910

[2] Sakina M’Sa et la blue line : http://www.sakinamsa.com/blue-line/

 

[3] Pour écouter le podcast de la conférence : http://www.ifm-paris.com/fr/ifm/mode-luxe-design/conferences-publiques/podcasts.html?start=10

 

Pousser la porte des ateliers et des manufactures et devenez le témoin privilégié des savoir-faire d’hier et de demain.

Cité de la dentelle - Calais

Cité de la dentelle – Calais

 

La période estivale et les vacances qui y sont souvent associées sont l’occasion de ralentir le rythme.

Pour agrémenter cette parenthèse et sortir des sentiers battus, pourquoi ne pas partir à la recherche des trésors du patrimoine vivant français ?

Savourer avec gourmandise les spécialités culinaires du lieu qui nous accueille mais également découvrir les savoir-faire d’une région ainsi les hommes et les femmes qui les exercent.

 

Observer les gestes, apprendre des matières, comprendre les étapes des processus de fabrication, la visite d’ateliers, laboratoires et autres lieux de fabrication, selon votre choix, vous transporteront dans des univers où le temps est suspendu et où vos sens seront en éveil.

Sentir le lien de l’artisan avec la matière qu’il travaille ou celui de l’opérateur avec la machine qu’il actionne et qu’il « bichonne » vous donneront la dimension de leur engagement.

Et même s’ils ne révèlent jamais tous les secrets de fabrication qui font leur spécificité ou que le processus créatif reste un mystère, ces rencontres et les échanges vous nourriront différemment.

Deux sites spécialisés dans l’organisation de visites pourront vous guider votre sélection avec des possibilités de recherches par centre d’intérêt ou situation géographique.

https://wesavoirfaire.com

Explorer le Made In France des parapluies de Cherbourg au Musée de l’Impression sur Étoffe. Un large choix pour le textile et la mode mais aussi pour la décoration, la nature, l’art culinaire, les loisirs et même l’énergie. Des propositions d’itinéraires et un magazine en ligne avec articles et reportages vidéo.

http://www.entrepriseetdecouverte.fr

Élargir l’offre culturelle avec le tourisme industriel. Alimentaire, vin et spiritueux , artisanat, environnement et énergie, mode et cosmétique et industries technologiques vous trouverez sur le site la présentation des entreprises qui ouvrent leurs portes. Il y a aussi la possibilité de bénéficier de visites sur mesure de sites habituellement fermés.

Pour compléter, les ateliers d’art de France propose un répertoire des ateliers et associations :

https://www.ateliersdart.com

Et l’institut national des métiers d’art ont établi une carte des métiers d’art en région

http://www.institut-metiersdart.org

Les syndicats d’initiative et la presse papier sont aussi de précieuses sources d’information pour cette période estivale.

 

 

 

Design for peace : un projet pilote de création solidaire

Crédit photo : Design for peace

Crédit photo : Design for peace

Design for peace est avant tout un projet qui a du sens car il porte les valeurs de solidarité et d’humanité.

L’association Africa Tiss qui en est à l’origine se préoccupe de nécessités humaines, où qu’elles se trouvent sur la planète et dans ce cas celles de réfugiés maliens en exil forcé au Burkina Faso.

 

Pour ces hommes et ces femmes dont les conditions de vie restent fragiles et incertaines, pouvoir être de nouveau en capacité de répondre à leurs besoins est essentiel. Leurs métiers et savoir-faire sont des points d’appui qui vont leur permettre d’accéder de nouveau à l’autonomie à laquelle tout humain a droit pour se sentir faire partie de ce monde, y prendre sa place et y faire son apport.

Pouvoir acheter les matières premières nécessaires à l’exercice de leur artisanat est un premier pas, le suivant est de distribuer pour vendre et de préférence sur le marché international.

Cela implique que les produits soient avec un design et une qualité acceptés par ce marché, ce qui constitue un vrai défi mais aussi une garantie de pérennité.

 

Design for peace est aussi l’histoire d’une rencontre. Celle de dix-sept artisans Touaregs détenteurs de savoir-faire traditionnels et variés et de 6 designers français formés dans les grandes écoles d’art et de design.

Les premiers travaillent le cuir, le bois, la vannerie, le métal ou encore la laine et ont été choisis pour leurs talents et compétences.

Les seconds, créateurs dans différents domaines ont répondu à l’appel avec leur book personnel mais aussi avec des propositions sur la base de deux proverbes Touaregs « les gestes, sont les tambours d’eau de la parole » et « que celui qui réside fasse en sorte que celui qui passe se souvienne ». Un début de réflexion et une immersion anticipée dans l’univers que leur réservera une fois sélectionnés, la résidence artistique de 7 semaines au Burkina Faso à laquelle ils sont invités.

 

La collection « Transhumance » issue de cette collaboration reflète le mélange des univers et cultures de leurs créateurs, dans laquelle la tradition est respectée mais aussi réinventée se jouant de l’utilisation de la matière et la détournant, modifiant parfois les usages et destinations des objets.

En regardant les créations, qui ont surgi de cet échange inédit, on imagine l’effervescence, le désordre joyeux, les gestes partagés, les tentatives, et probablement les errements pour enfin se comprendre et que la rencontre se produise, une rencontre technique et artistique mais aussi humaine.

Les pièces sont le résultat des interrogations et de la recherche commune, comme la volonté de mettre en valeur les objets du quotidien lesquels, pour les peuples nomades, sont petits pour être transportables.

Elles sont aussi le témoignage de l’intérêt et du respect que les participants au projet se sont mutuellement portés.

Devenus nomades à leur tour, les objets de décoration et les accessoires de mode embelliront délicatement nos vies en y semant un peu de l’esprit de la transhumance saharienne.

La collection est accueillie à la galerie Made in Town à Paris jusqu’au 23 juillet et à l’Institut français de Ouagadougou du 04 juin au 23 juillet.

Pour accompagner soutenir Design for peace rendez-vous  sur kisskissbankbank : https://www.kisskissbankbank.com/design-for-peace-co-creation-et-design-solidaire?ref=category.

Encore plus d’infos sur le site du projet :  http://designforpeace.org

Et sur celui d’Afrika tiss, le fil solidaire : http://www.afrikatiss.org

La dimension humaine des métiers d’art

(Crédit image : Pauline de Chassey)

(Crédit image : Pauline de Chassey)

Le début du mois d’avril a été riche en événements pour les acteurs des métiers d’art.

« L’empreinte du geste » a ouvert les festivités avec une exposition au musée des Arts Décoratifs, une série de conférences et la projection de l’excellent film « The heart of glass » de Jérome de Gerlache sur le parcours de l’artiste verrier Jérémy Maxwell Wintrebert.

Puis les Journées Européennes des Métiers d’art ont permis les visites des ateliers et la rencontre avec les artistes et enfin le Festival International du Film des Métiers d’Art a projeté une sélection de documentaires sur le sujet.

L’occasion de s’interroger sur le rôle social de ces métiers et de ceux qui les exercent.

Pourquoi sont-ils créateurs de lien ? Quelle est leur dimension humaine ?

En France, selon les Ateliers d’Art de France, le secteur des métiers d’art se matérialise par près de 38 000 entreprises qui emploient plus de 60 000 personnesCe n’est pas rien.

Le lien à travers la matière, l’objet et l’intention de son créateur.

La rencontre se fait également dans l’échange autour de l’objet.

La sensibilité de l’artiste se transmet dans le travail de l’objet et un lien se crée entre le créateur, l’acheteur et l’utilisateur.

L’histoire que raconte le créateur à travers l’objet peut entrer en résonance avec sa propre histoire et sa propre humanité comme si les intentions de l’artiste s’étaient « imprimé » dans sa création.

Ainsi l’objet qu’ils ont en commun, rappelant des émotions, va unir l’artiste et celui qui reçoit l’objet.
Selon Manon Clouzeau, céramiste, « la beauté est une porte ouverte directe vers le cœur et cela passe même si l’acquéreur ne rencontre pas directement le créateur, il voit son empreinte. Cela peut passer par l’éveil sensoriel que produisent la forme, la texture et la couleur de l’objet ».

Emmanuelle Manche, également céramiste l’exprime ainsi : « je transmets à travers les objets que je crée une partie de mon univers ».

Les artisans d’art ont cette habileté à transmettre dans leurs créations ce qui les habite.

On comprend alors pourquoi une production en série fait perdre du sens et pourquoi les artistes ont tant à cœur de sensibiliser à la valeur de l’ouvrage, au temps passé.

Le lien par la transmission des gestes et métiers

Il y a la transmission directe entre un maître artisan et son élève qui se passe au sein des ateliers et qui concerne le savoir-faire et le savoir-être.

Cet apprentissage est une rencontre humaine faite de dialogues, les gestes montrent et les mots définissent et expliquent, et ce faisant celui qui transmet continue à apprendre autant que celui qui reçoit.

Les autres sens étant fortement sollicités dans tous les processus de création tout ne passe pas par la parole. Comment transmet-on le sensible ? L’atmosphère si particulière des ateliers, où flottent sensibilité, recherches et questionnements en témoigne.

Celui qui transmet et qui a aussi en son temps été élève lègue plus que sa propre expérience, il devient le passeur d’une histoire beaucoup plus ancienne, celle de l’humanité qui se perpétue à travers lui.

Le lien avec le passage de l’histoire et des traditions

Lorsque les techniques ancestrales perdurent car elles sont correctement conservées, ce sont des traditions qui se transmettent. Celles d’une région, d’une culture ou de coutumes qui se symbolisent par des broderies sur un tablier, les dessins d’un vitrail, la forme des sculptures, la matière des bijoux etc….

Les métiers d’art font le lien entre le passé et le futur chaque fois qu’une technique traditionnelle est utilisée de façon innovante ou réinventée car elle est source d’inspiration.

Ainsi le passé emmène ces métiers de tradition dans le futur.

Le film primé au FIFMA, « Génération Y à l’heure du thé » de la réalisatrice Pauline de Chassey en est une parfaite illustration.

Une classe de design de l’Ecole des Arts Déco de Paris, accompagnée par son professeur va créer des objets en porcelaine avec une des plus anciennes manufactures de la ville de Limoges, Haviland. Comment maintenir les exigences de son expression artistique tout en appréhendant les contraintes d’une technique ?

Comment la rencontre entre ces deux univers va-t-elle se faire ?

Le documentaire retrace le processus fait de questionnements, de doutes, de freins, de déceptions et des émerveillements de part et d’autre jusqu’à la naissance l’objet fruit de toutes les intentions et attentions portées ensemble.

« Faire des choses qui vont s’adresser à la part lumineuse de l’être humain » dit le professeur. « Créer des objets, c’est faire le lien entre une personne et une autre et puis on se rend compte qu’il y a des savoir-faire et des gens qui ont des mains en or » dit l’élève.

Relier la matière et l’esprit est sans aucun doute une façon de transcrire son intériorité.

Cet article est aussi disponible sur L’agence de presse Internationale PRESSENZA : http://www.pressenza.com/fr/2016/04/dimension-humaine-metiers-dart/

 

LE GANT SOUS TOUTES SES COUTURES

Tableaux de mesures et tailles des gants

La ganterie fait partie de ces savoir-faire précieux qui, malgré les difficultés rencontrées, traversent les siècles en perpétuant la tradition.Trois régions en France continuent à faire vivre ce patrimoine, la région de Grenoble en Isère, celle de Saint-Junien en Haute-Vienne et celle de Millau dans l’Aveyron.

L’histoire du gant est ancienne. Nous en avons pour preuve un gant d’archer – en cuir tressé – retrouvé dans la tombe de Toutankhamon. Bien avant cela, des peintures rupestres, datant du paléolithique supérieur et représentant des formes de protection de la main ont été découvertes dans une grotte près de Marseille[1].

La nécessité de protéger sa main, les usages et les élégances, ont fait du gant, au fil des époques, un objet utilitaire, de bienséance, de coutumes et de mode.

Certaines expressions imagées perdurent telles des témoins de sa place au sein de la société : aller comme un gant, souple comme un gant, jeter ou ramasser le gant, une main de fer dans un gant de velours, etc.

Le musée de la ganterie Jouvin à Grenoble

Entrer dans le musée c’est s’apprêter à découvrir quelques merveilles et à écouter une histoire.

– Celle d’un lieu, une salle capitulaire du 16 ème siècle car à son origine l’immeuble était un prieuré rattaché à l’église Saint-Laurent.

– Celle d’une famille – les Jouvin – avec Xavier, un gantier féru d’innovation qui va dès 1834 révolutionner le métier.

Le gardien du trésor n’est autre que son arrière, arrière-petit-fils, qui raconte aux visiteurs, l’histoire de cette famille, parfois tumultueuse comme peuvent l’être les eaux de l’Isère descendues des montagnes.

Xavier Jouvin a monté sa première entreprise, “ les gants Jouvin” en 1839 avec son demi-frère. En 1843, un associé supplémentaire apportant des capitaux est arrivé et l’entreprise a commencé à augmenter son chiffre d’affaires.

Xavier Jouvin est mort très peu de temps après, en 1844, mais la société qui avait la propriété des brevets a continué son chemin sous le nom “Jouvin et compagnie”.

Son épouse, héritière des brevets, l’a quittée mais continuait à couper des gants exclusivement pour son beau-frère.

En 1849, les brevets sont tombés dans le domaine public et les deux associés ont mis Madame Jouvin à l’écart puisqu’ils pouvaient, à partir de cette date, utiliser la technique librement.

La veuve Jouvin, qui s’est alors retrouvée avec un immeuble, des coupeurs mais plus de débouchés, a créé sa propre ganterie : Veuve Xavier Jouvin et Compagnie. Son beau-frère a eu beau lui intenter des procès pour l’empêcher de le concurrencer, elle les a gagnés et a conservé la marque.

Ainsi en 1849, cette ganterie fabriquait 44 000 douzaines de paires de gants par an sur les 250 000 douzaines fabriquées à Grenoble.

100 personnes étaient employées dans l’atelier Jouvin et plus de 1000 “couseuses” travaillaient à la pièce chez elles.

L’âge d’or de la ganterie Grenobloise

 Entre 1850 et 1870 le chiffre d’affaires de la production de gants à Grenoble passe de 9 à 30 millions de francs et le nombre d’entreprises de ganterie de 75 à 175. Elles réalisent le tiers de la production française.

En conséquence la population de la ville, qui vit de cette activité et de ses annexes comme la teinturerie et la megisserie passe de 27000 à 40000 habitants dont un grand nombre d’ouvriers dédiés cette industrie manuelle.

Sur tous les gants de Grenoble, on trouvait l’indication “Coupe Jouvin” car même ceux qui n’étaient pas de la marque revendiquaient le procédé.

La renommée du gant de Grenoble arrive jusqu’au couple impérial (Napoléon III et Eugénie de Montijo) avec la remise en 1860, par quatre jeunes filles dont Rose Jouvin – fille de Xavier Jouvin – de deux corbeilles de 25 paires de gants. Quatre cinquièmes de la production sort des frontières françaises pour s’exporter Angleterre et aux Etats-Unis.

Aux mêmes dates, la maison Jouvin a deux magasins à Paris, un à Londres et un autre à New York.

A partir de 1880, la société Perrin – une autre grosse ganterie de Grenoble – introduit les premières machines à coudre. Le temps de fabrication d’une paire de gants s’accélère et divise par deux le nombre des “couseuses”.

Deux brevets sont à l’actif de Xavier Jouvin

 Xavier Jouvin a tout d’abord inventé la notion de pointure.

Avant cela, pour fabriquer une paire de gants on posait sa main sur la matière et on tournait autour.

Xavier a commencé par une observation anatomique de mains des patients à l’hôpital de Grenoble.

La prise de leurs mesures a amené à normaliser les tailles : 320 exactement, répertoriées sous la forme d’un tableau breveté en 1834. Auxquelles s’ajoutent des catégories qui représentent le volume : petite main, effilée, grande, large.

Pour trouver sa taille, rien de plus simple, on mesurait le tour de sa main au niveau de la paume et en reportant la mesure sur le tableau on trouvait le calibre qu’il fallait utiliser pour couper le gant.

Tant que le sur-mesure a existé, soit jusqu’à la fin du 19ème siècle, ce système a été utilisé.

Puis avec l’apparition des grands magasins et la vente de gants déjà fabriqués, le nombre de tailles a été réduit.

Le second brevet de 1836 est celui de “la main de fer” utilisée pour couper le cuir. Un étavillon (rectangle de peau) est posé sur cette main de fer et l’artisan tournait autour avec un tranchet pour couper le cuir.

Dès 1838, ce système a été amélioré par une plaque répulsive : tous les doigts sont entourés d’une lame de rasoir ce qui en fait un emporte-pièces. On place le tout sous presse et cela coupe plusieurs peaux en une seule fois.

Connaître la matière pour la travailler

Chez Jouvin et à Grenoble seule la peau de chevreau était utilisée en raison de sa finesse et de sa résistance. Le chevreau élevé en région Dauphinoise, dont les peaux étaient achetées après mégisserie, étaient triées en fonction de leur souplesse et de la finesse de leur grain, puis teintes.

Le “prétant”[2] – 15 % en longueur et de 45% en largeur – détermine le nombre de gants qui pourront être coupés, soit quatre par animal maximum.

Les peaux sont minutieusement inspectées au moment de la coupe pour placer les défauts au niveau des coutures ou des entre-doigts ou fourchettes si on emploie le vrai mot du métier.

Des machines-outils plus un sacré tour de main

Plusieurs machines sont utilisées pour la fabrication des gants.

La “main de fer” bien entendu, les presses manuelles puis électriques – celles de Raymond Bouton Grenoblois qui a inventé le bouton pression – et les machines à coudre et les mains chaudes.

L’étape de la couture demande minutie et finesse que ce soit pour la couture surjet – peaux bord à bord maintenues par un point zigzag -, ou le piqué anglais qui superpose les deux peaux et les pique ensemble. Dans ce cas, la tranche de la peau restée apparente était teinte.

Avant le montage, on pouvait broder le gant pour lui apporter une fantaisie, avec par exemple, le point de Beauvais.

Une bonne ouvrière “sortait” 30 paires de gants par jour.

Et enfin, on glisse le gant sur la main chaude pour le lisser.

Marie-Laurence Sapin