Numériser son patrimoine historique permet de le conserver et de le valoriser à la hauteur des égards qu’il mérite.

Musée de Roubaix

Archives du Musée de Roubaix

Pour une entreprise, la numérisation est une action qui s’inclue, à un moment opportun, dans toute démarche de préservation du patrimoine vivant.

Pour comprendre ce que cela implique, nous avons rencontré Émeline Dodart-Gosse fondatrice de Num&Patrimoines qui accompagne les sociétés qui se lancent dans cette aventure.

Études de faisabilité, conseils dans le choix des prestataires puis si nécessaire dans un contrôle qualité, font partie intégrante de ses missions.

L’aide précieuse de cette spécialiste expérimentée qui va guider ceux qui se sentent démunis face aux nombreux choix à faire avant même de mener à bien leurs projets.

Numériser son patrimoine vivant est une protection utile, permet un accès simplifié et rapide à ses archives pour en faire un outil de communication efficient.

Concernant les marques de mode, les archives étant les gardiennes du style, la numérisation prend tout son sens.

 

MLS Conseil : Quel parcours vous a conduit jusqu’à la numérisation ?

Num&Patrimoine : Au cours de mes études en histoire de l’art médiéval, portant notamment sur les manuscrits enluminés, j’ai dû consulter beaucoup d’images. Alors qu’à cette date la numérisation en était à ses balbutiements, la base Mandragore de Gallica[1] existait et j’ai pu y trouver les éléments nécessaires à mes recherches. De là, un nouvel intérêt a surgi : mixer l’histoire de l’art et les nouvelles technologies.

Puis, le Master Pro sur la numérisation dans lequel je me suis engagée, m’a passionné et m’a permis d’accéder rapidement à un premier poste à la Bibliothèque Nationale de France en tant que chargée de numérisation.

 

MLSC : Qu’est-ce que l’on appelle la numérisation ?

N&P : Numériser signifie rendre accessible d’un point de vue numérique tous types de documents. Ainsi, ils seront consultables, pour différents usages, dans des bibliothèques virtuelles, à partir d’un ordinateur.

Techniquement les possibilités sont nombreuses. On peut évidemment numériser des documents papiers – affiches, croquis, rouleaux de papyrus -, mais également des films – micro film, ektachrome -, ou encore les plaques de verre servant à la photographie.

Concernant les objets, en complément ou en substitution d’une prise de vues en 2D, il est possible de numériser en 3D. Cette dernière option permettra de pouvoir modéliser les objets puis de les faire tourner sur son écran pour se rendre compte de leurs volumes et de leurs proportions. Un travail sur les structures pour obtenir des rendus très réalistes est alors fait.
MLSC : Pourquoi décide-t-on de numériser ?

N&P : Au départ il est important de définir l’intérêt de la numérisation. Celle-ci doit répondre à un besoin et/ou un objectif et s’encadre dans un projet.

Pourquoi dématérialiser ? La réponse la plus simple à cette question est : pour sauvegarder son patrimoine. C’est évidemment vrai et les raisons qui justifient la protection sont nombreuses.

Citons le cadre de la gestion des risques (incendie, vol, inondation, déménagement), ou le cas d’une cession ou revente de l’entreprise (un patrimoine numérisé sécurise un acquéreur). L’intérêt juridique est aussi considéré parce qu’un document numérique peut servir à prouver un savoir-faire technique ou une création. Cela permet une réponse rapide et moins couteuse si une procédure est engagée. On connaît tous le problème des copies.

Il convient aussi de prendre conscience que des archives numérisées sont facilement exploitables. Une aubaine pour les services de communication interne et externe dont les besoins sont permanents.

En terme de valorisation, monter une exposition ou faire un film sera plus rapide à partir d’images disponibles et puis partager l’histoire de l’entreprise avec ses salariés se révèle bien souvent fédérateur.

Dans tous les cas, engager un programme de numérisation demande de préparer ses fonds.  Cette première démarche est elle-même très bénéfique car elle permet d’organiser ses archives et s’interroger : qu’est-ce que j’identifie d’important dans mes archives que je veux protéger ?

 

 

MLSC : Que préconisez-vous aux entreprises qui envisagent une future numérisation ? Y-a-t-il des précautions à prendre ?

N&P : Je conseille toujours de porter attention à tout ce qui va constituer son fonds d’archives.

Rassembler les documents dans un même lieu de stockage, être vigilant à l’humidité, la lumière et les variations de température. Il est préférable d’être dans un endroit un peu trop chaud mais à température constante, qu’un hangar où les écarts vont être importants.

Enregistrer les données sur un tableur par thématique : création, commercial, publicité, presse, etc…….

Identifier ses procédés de création de produits et de fabrication et ne pas oublier de dater tous les documents.

 

MLSC : Qu’est-ce qu’une entreprise peut faire à partir ses archives numérisées ?

N&P : Le simple fait que l’on choisisse de rendre disponibles ses informations à partir de sites ou de plateformes digitales ouvre des possibilités infinies et pour une audience internationale.

Les chercheurs, historiens, étudiants auxquels l’entreprise pourrait donner un accès complet ou partiel, pourront être dans n’importe quel pays du monde. À partir de cela on peut tout imaginer !

 

MLSC : Y a-t-il un intérêt spécifique pour les entreprises du secteur textile et mode ?

N&P : Il est évident !  Les bureaux de style s’appuient sur les créations historiques de la marque pour s’en emparer et les revisiter. On peut aussi numériser des textiles.

Une nouvelle fois le gain de temps est appréciable car des images indexées correctement se trouvent vite. Dans un classeur classique, le rangement des collections se fait par saison. Avec une option dématérialisée, on va utiliser les mots clés : « robe, crêpe, 3 trous » et les réponses apparaissent, multiples. Tous les dessins de ces robes, leurs fiches techniques, une photo, la date de création, etc…… et éventuellement le produit en 3D.

 

MLSC : Prenons un cas d’école très précis, celui une entreprise de tissage qui édite beaucoup de modèles de tissus. En quoi le fait d’avoir ses textiles numérisés constitue une valeur ajoutée pour ses clients ?

N&P : Je dirais simplement pour répondre vite, mieux et plus à son client. Le gain de temps pour que les équipes de style puissent faire une proposition rapide au client est indéniable.

Il est aussi possible d’utiliser un catalogue numérique pour la prospection commerciale.

 

MLSC : Quel est le moment adéquat pour une entreprise de démarrer la numérisation de ses archives ?

N&P : Les entreprises au patrimoine historique ancien et important fonctionneront par campagnes car le travail sur le rétroactif peut être long et couteux. Mais tout est possible. Lorsque je discute avec mes clients, on évoque le minimum mais aussi le maximum. Il choisit où il met son curseur. Je le conseille sur ce que je considère comme essentiel.

Pour les entreprises plus récentes, nous sommes sur une question d’archivage électronique puisqu’elles travaillent déjà avec les solutions digitales. Dans ce cas, l’accent sera mis sur le produit fabriqué et la campagne de numérisation pourra être faite à chaque fin de saison.

Si les grands groupes du luxe mettent l’accent sur la numérisation pour toutes leurs filiales c’est qu’il y a un vrai retour sur investissement. Certes ils possèdent un budget, mais ils n’investissent pas ces sommes d’argent sans raison.

[1] Gallica est la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France. En libre accès, elle regroupe des livres numérisés, des cartulaires, des revues, des photos et une collection d’enluminures. Source Wikipédia.

De la matière à l’objet, découvrir toutes les richesses des métiers d’art

 

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L’intérêt grandissant pour les métiers alliant savoir-faire et création se confirme. En témoignent les divers évènements destinés à favoriser les rencontres entre professionnels, à faire connaître et valoriser les métiers de la main auprès d’un large public et à révéler de nouveaux talents.

Journées européennes des métiers d’arts, Paris Design Week ou encore Designers Days, les initiatives se multiplient. Elles sont présentes sous des formes diverses associant expositions, parcours, conférences, workshops, démonstrations de savoir-faire et projections de documentaires.

Le second week-end du mois d’octobre a été riche de ces manifestations en Ile-de-France avec deux premières éditions : les « Journées des savoir-faire d’Excellence » pour les dix ans du label Entreprises du Patrimoine Vivant et les journées de l’artisanat à Belleville.

Il était également possible de profiter de la treizième édition des portes ouvertes des ateliers d’artistes montreuillois et de la quatrième édition de la désormais installée biennale des métiers d’art à Pantin renommée Émergences.

Autant de moments d’échanges et de partages avec les acteurs de ces métiers qui sont toujours prêts à parler de leur art et de leurs démarches à des visiteurs friands de comprendre ce qui les anime.

Des conversations autour des sources d’inspiration, du lien entre l’artisan et la matière qu’il travaille, de la trace de sa sensibilité dans sa création, et en conséquence de l’histoire que raconte l’objet créé ou encore de ce que l’action de fabriquer révèle de soi-même ont été entendues partout où ces manifestations ont pris place.

Des tables rondes ont proposé des réponses à des questionnements :

Quelle est la rémunération juste pour les artisans d’art ?

Quelles sont les innovations dans le secteur de l’artisanat d’art ?

Quels sont les enjeux de l’artisanat au cœur de la ville ?

Qu’est-ce que le e-textile ?

Et enfin des conférences sur les nouvelles recherches autour de la teinture naturelle ou la nécessité d’un incubateur pour accompagner les jeunes marques de mode ont apporté des informations appropriées aux besoins et préoccupations actuelles de tous ceux qui travaillent dans le secteur.

Ces expositions et rencontres ont été également l’occasion de mettre en avant des métiers pour lesquels la valeur du temps compte. Le temps infini de l’apprentissage du geste et de la matière mais aussi le temps incompressible de la réalisation de l’objet.

Un temps auquel s’associent la patience, l’habileté, le soin, la préoccupation du travail bien fait et du renouvellement indispensable.

Depuis toujours les artisans d’art qui reçoivent en héritage les techniques de leurs ainés, ont su se les approprier pour avancer sur de nouveaux chemins. Inventer de nouveaux designs et tester des associations de matières singulières permet de générer des dialogues entre les matériaux et leurs créateurs.

Ces visites offrent toujours une jolie parenthèse et témoignent d’un renouveau des métiers d’art qui petit à petit reprennent leur place au cœur des villes et constituent ce que l’on appelle l’économie créative.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le retour du bleu de travail dans les collections de mode : phénomène de mode lié à une recherche d’authenticité ou hommage aux ouvriers des manufactures ?

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Crédit photo : nypl.digitalcollections

Dans les collections récentes et à venir, les vêtements inspirés du « bleu de travail » se taillent une jolie place au sein des marques de mode.

Curieuse de l’histoire de marques anciennes comme récentes, ce « fait de mode » m’a d’autant plus interpellé qu’il est récurrent même si c’est à intervalles non réguliers.

Il suscite donc quelques commentaires et je vous livre les miens, espérant en retour, vos remarques.

 

Le bleu de travail est né à la fin du 19ème siècle avec l’essor industriel.

C’est un vêtement professionnel pratique, économique et résistant pour assurer la protection et la sécurité des ouvriers. Il indique aussi, tel un uniforme, l’appartenance de celui qui le porte au monde ouvrier. Sa couleur, le bleu de Prusse, peu salissante et au coût de production peu élevé était déjà utilisée pour d’autres métiers manuels pour les marins, les facteurs et militaires.

Au même moment le blue-jean sous forme de salopette apparaît aux États-Unis comme étant la tenue des ouvriers américains.

Lors des manifestations de mai 1968 les étudiants ont adopté le bleu de travail en solidarité avec les ouvriers.

 

Aujourd’hui on retrouve des vêtements, inspirés des salopettes, pantalons et combinaisons de peintres, vestes de charpentier et vestes de comptoir, bleus de chauffe, gilets de serveurs, avec une esthétique qui bien que modernisée reste fidèle aux originaux en conservant les poches pour porter les outils.

Quelques marques iconiques dans le secteur résistent comme Adolphe Lafont (1844), Bragard (1933), Duthilleul et Minart (1859) ou Vetra (1927) mais adaptation au marché oblige elles parlent plus de vêtements d’images que de bleu de travail.

 

Certains créateurs, comme Marithé et François Girbaud[1], se sont emparé du jean, l’ont transformé en lui donnant un aspect usé et en ont fait un vêtement du quotidien.

 

Plus récemment Sakina M’Sa[2], créatrice de mode, très impliqué dans le développement durable, recycle le bleu de travail et le détourne pour créer de nouvelles pièces avec l’intention clairement annoncée de faire passer les travailleurs de l’ombre du coté de la lumière.

 

Bleu de Paname, marque pour homme de fabrication française lancée en 2009 écrit sur son site : « un vêtement de travailleur « updaté » pour accompagner le labeur et la détente d’une nouvelle génération d’urbains, aux talents et modes de vie multiples ». Les deux fondateurs se sont inspirés des vêtements de travail qu’ils ont vu portés, durant leur enfance, par des membres de leurs familles.

 

Arpenteur, autre marque française créée en 2011, qui s’inspire de vêtements de l’époque comprise entre 1920 et 1950, a quant à elle mis le bleu de travail dans ses basiques.

 

Anne Monjaret, directrice de recherche au CNRS lors d’une conférence « La vie en bleu : expression de l’identité ouvrière »[3] se demande  « Que nous reste-t-il des bleus de travail ? »

 

Alors phénomène de mode lié à un besoin d’authenticité ou hommage aux ouvriers des manufactures ?

Sans doute un peu des deux car la mode est souvent liée à des faits sociaux.

La définition littéraire du mot « mode » du dictionnaire Le Petit Larousse dit que c’est une manière de vivre, de se comporter, propre à une époque, à un pays.

Si une personne porte une veste type bleu de travail, même si celle-ci est revisitée, elle veut probablement faire passer un message même s’il n’est pas toujours conscient.

 

Il y a indéniablement une tendance affirmée au casual pour allier décontraction et confort, et une volonté de revenir à une production française.

Un peu de « branchitude », probablement et espérons-le, une intention de revaloriser les métiers manuels qui aujourd’hui font cruellement défaut.

Je crois aussi à une petite part de nostalgie de la part des jeunes créateurs même s’ils s’en défendent.

Et comme les tissus utilisés sont très solides, que leur durée de vie est longue et qu’ils restent beaux en vieillissant les bleus de travail seront là dans le futur, recyclés et prêts pour de nouveaux usages.

Marie-Laurence Sapin

[1] Teaser de l’exposition « L’autre jean » de Marithé et François Girbaud – Saint Etienne octobre 2012 à mai 2013 : https://vimeo.com/57137910

[2] Sakina M’Sa et la blue line : http://www.sakinamsa.com/blue-line/

 

[3] Pour écouter le podcast de la conférence : http://www.ifm-paris.com/fr/ifm/mode-luxe-design/conferences-publiques/podcasts.html?start=10

 

Préserver des savoir-faire c’est aussi conserver des emplois 

 

Crédit photo : Bernard Jaillet

Crédit photo : Bernard Jaillet

De nombreux savoir-faire sont exercés dans les métiers de la mode. Certains sont connus par le biais des métiers d’art, d’autres sont plus invisibles, mais bien réels et présents, dans les ateliers des usines. Tous participent à l’identité de la région où ils sont implantés.                                                                                                         

Un savoir-faire qui disparaît c’est une technique qui se perd, mais ce sont aussi des personnes qui sont privées de leur emploi.                                                                                                                                                                                                

Les logiques économiques implacables menacent souvent ces métiers et ceux qui les exercent parce que le temps d’apprentissage est long, mais aussi, parce que celui de la fabrication dans lequel intervient la main de l’homme a un coût.

Quelles sont les pistes pour conserver ce patrimoine humain ?

Les labels et titres métiers

Ils donnent de la visibilité à l’entreprise et ses produits et participent à sa renommée notamment à l’export.

Le label EPV – entreprises du patrimoine vivant – par exemple se positionne clairement comme étant l’ambassadeur de l’excellence du « made in France ». Les maîtres d’art, les meilleurs ouvriers de France sont les garants de savoir faire et de leur maintien .                                                                                                                                                                                                                   Ceux qui certifient l’origine d’une région comme France Terre Textile (Vosges, Alsace, Nord, et Rhône-Alpes Auvergne) revendiquent une production en France, donc des emplois.

Tous attestent de la reconnaissance d’une qualité et d’un savoir-faire qui peuvent déclencher un achat responsable de la part du « consom’acteur ».

Prêter attention aux archives et au patrimoine historique des entreprises

Mettre à l’abri et organiser les archives d’une entreprise et écrire son histoire participent à la préservation des savoir-faire. Ordonner les documents d’archives mais aussi le parc des machines et des outils, conserver les brevets, écrire les procédés de fabrication sont des éléments qui font partie de la valeur marchande en cas de cession et de transmission de l’entreprise.

Une entreprise qui perdure dans le temps maintient des emplois.

L’engagement des entreprises

Certains grands groupes poussés par la nécessité et parce qu’ils ont besoin de sécuriser leurs approvisionnements ont racheté des entreprises aux savoir-faire précieux. D’autres entreprises plus petites rachètent des machines, récréer de l’activité et embauchent.

Soutenir la formation/apprentissage

Eviter la fermeture d’entreprises et la perte de savoir-faire rares par manque de relève est un risque bien réel.  Les métiers de la main ont souffert d’un manque de reconnaissance pendant de nombreuses années. Cette tendance commence à s’inverser en raison des possibilités d’emplois que cela laisse entrevoir. Un engouement commence de se faire sentir chez les jeunes qui sont en recherche de sens et de passion pour leur activité professionnelle.

La mise en place de formations ayant la même valeur que les cursus classiques – littéraires ou scientifiques – serait indéniablement un plus. Citons l’exemple de l’Angleterre avec l’école « Plymouth  school of creative arts » qui est déjà engagée dans ce chemin.

Créer de l’activité et donc de l’emploi à partir des savoir-faire, motive bon nombre d’associations d’insertion.

L’action des fédérations, unions et syndicats, institutions, etc… qui accompagnent les métiers sont aussi des facteurs importants pour soutenir les acteurs du secteur.

FASHIONTECH ET DÉVELOPPEMENT DURABLE : UNE ASSOCIATION COMPATIBLE ?

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© 2015 OceanTeam – Crédits Photos : Marc Lamey, Romain Dona

Lorsque les technologies s’invitent dans la mode on s’interroge forcément sur l’impact environnemental que cela va générer. Un certain nombre de créateurs associent la mode et la technologie. Impression 3D, textiles intelligents, incrustation de leds pour vêtements interactifs ou fibres optiques –  les exemples ne manquent pas. Sans compter que l’utilisation du numérique est indispensable pour faire les sites, blogs qui transmettent les informations aux communautés et clients, tout comme les plateformes collaboratives pour mettre les trouvailles en open source, co-créer, partager les vestiaires, louer, vendre, échanger, etc…. Il n’empêche que la technologie est souvent associée à l’utilisation de matériaux « sales » qui ne sont ni bio sourcés, ni recyclables. Pourtant les acteurs de cette mode sont très préoccupés par le développement durable et la protection de la planète.

Comment ces deux intérêts s’accordent-ils ?

Nous sommes allés à la rencontre d’Alice Gras cofondatrice de la Fashiontech [1] et fondatrice de Hall Couture[2] et pour lui poser la question et avoir son éclairage.

Sa réponse est limpide : « A quoi sert la technologie si elle n’aide pas à mieux vivre et mieux vivre c’est aussi évoluer dans un environnement dont on prend soin. On peut dire que c’est cet état d’esprit et cette sensibilité qui anime les créateurs de la Fashiontech. Il est tout à fait logique de vouloir que la technologie respecte aussi l’environnement et il est indispensable que les deux sujets se retrouvent sur un terrain d’entente. Il est préférable que les nouvelles technologiques soient en conformité avec notre biotope car la nature est notre première ressource ».

Il est vrai, poursuit-elle, qu’il n’est pas toujours évident de satisfaire les acteurs de la mode tech et ceux de la mode durable. Certains, qui travaillent avec les nouvelles technologies, sont très orienté business : mettre sur le marché des nouveaux produits qui répondent à des attentes et chercher à obtenir, à très court terme, le plus de gains possibles avec cela. Le potentiel est fort dans le domaine de la santé, du quantified self et du sport par exemple. Pour d’autres, qui ont avec une vision des choses différente, s’intéresser à l’avenir en général les conduit à se pencher sur les nouvelles technologies tout en étant attentif au futur de notre planète.  Pour ceux-là respecter l’environnement s’impose comme une contrainte qui permet de fait avancer les choses – et leur recherches – et de s’assurer un avenir plus heureux.

La technologie elle-même peut répondre à des problématiques d’ordre environnemental. Citons l‘exemple des chemises antitaches et anti-transpirantes (Le Lab[3]) qui nécessitent moins de lavages. Dans le procédé de fabrication, le fil et la façon de tisser font que la tache ne pénètre pas la fibre mais glisse dessus.

Une autre voie consiste à penser à la fin de vie du produit dès sa conception et à rechercher la meilleure façon de le recycler pour réduire l’impact écologique.

L’idée est bien de mettre la technologie au service d’une mode plus verte.

On peut aussi citer Ocean Dress[4] qui est un projet du Textilab[5] . Il s’agit d’une robe équipée d’un panneau solaire et de leds qui produisent de la lumière. Ceux-ci sont cousus sous la jupe, elle-même composée d’un filet de pêche sur lequel des sachets plastiques ont été tissés. Cela permet d’aborder le thème de la préservation des océans et du recyclage des déchets de façon poétique.

Concernant les composants électroniques, il y a des recherches de solutions moins polluantes. On commence à entendre parler de composants conçus de manière écologique sur la base d’une matière organique. Une lumière créée avec des bactéries est aussi à l’étude par l’une des startups occupante de la Paillasse[6] : Glowee . Ces projets demandent du temps mais témoignent d’une intention bien réelle et d’un processus engagé.

Pour Arielle Levy, cofondatrice du magasin de mode écoresponsable « L’herbe rouge » qui a accueilli lors des Journées Européennes des Métiers d’Art plusieurs jeunes créateurs dans sa boutique du Viaduc des Arts, la communauté de la Fashiontech crée des liens et partage des valeurs : celles d’une conception de la mode en phase avec les enjeux contemporains.

La mode de l’innovation est collective, elle fait travailler ensemble des chercheurs, des designers, des artisans, des informaticiens, etc ….qui veulent tous être dans une mode qui leur donne du sens et qui est en phase avec la société dans laquelle ils vivent.

Ainsi ils privilégient les circuits courts pour limiter les transports, l’éthique qui replace celui qui travaille au centre plutôt que l’actionnaire, l’économie circulaire et proposent de consommer moins mais mieux.

Par exemple, selon Claire Eliot, créatrice de mode et cofondatrice de la Fashiontech, si on a dans son armoire une robe dont on peut changer la couleur et se l’approprier en la transformant, il probable que nos actes d’achat seront moins fréquents.

Citons aussi l’initiative intéressante de Fashion Footprint qui à partir du flashage des QR codes apposé sur les étiquettes des vêtements donne accès à l’histoire de la fabrication du produit. Tudo Bom marque de mode éthique aujourd’hui en sommeil, était précurseur en la matière en imprimant sur ses étiquettes le nom de l’atelier de confection du vêtement. Le client retrouvait sur le site web photos et petits mots des couturières qui se trouvaient au Brésil.

Si l’innovation se fait aussi dans la recherche de solutions moins polluantes il est certain qu’un consommateur plus exigeant et aussi plus responsable accompagnera ce mouvement.

[1] La Fashiontech, association de loi 1901 a été créée dans le but de fédérer les acteurs de la mode et des nouvelles technologies dans une perspective de développement durable comme le développement des écosystèmes locaux. Elle compte 60 membres aujourd’hui.

 

[2] Hall Couture est un espace de travail partagé & concept store dédié à la création de mode innovante & responsable.

[3]Le Lab : une start-up qui fait entrer la mode masculine dans l’ère des nouvelles technologies

[4] http://oceanteam.wix.com/oceandress

[5] TEXTILab est un groupe de recherche et développement dans textile et habillement. Son ambition est de faire des séries de workshop pour amener les gens à une meilleure compréhension du vêtement innovant et ce que cela peut impliquer comme différents savoir-faire.

[6] La Paillasse, est un réseau de laboratoires interdisciplinaires offrant sans discrimination d’âge, de diplôme ou de revenu, le cadre technique, juridique et éthique nécessaire à la mise en œuvre de projets collaboratifs et open-source.

 

Rencontre avec un artiste pas ordinaire

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Il y a des vocations qui ne se contrarient pas !  Claudio Soro, originaire d’Argentine, a écouté son dessein et s’est attelé à la tâche. Il est un artiste au sens complet du terme, créatif, autodidacte et pluridisciplinaire, puisant dans chaque expérience créative l’énergie pour avancer vers la suivante. Il est de ceux dont l’élan créatif est vital.

En arrivant en France il y a 20 ans, il met un panneau à la fenêtre de son appartement « Retouches et confection de costumes pour le théâtre » et commence à travailler. Il a fait d’un besoin son métier. Lorsqu’il était comédien, sa première passion, il a avec l’aide de sa maman couturière, créé ses tenues de scène. Puis, de fil en aiguille, flairant le talent, des troupes de théâtre, lui ont demandé de créer les leurs.

Pour CLaudio, faire l’habit était une prolongation de son travail de mime. Le costume, se jouant de l’effet visuel, peut transformer un corps et le mettre au service du personnage incarné par le comédien. Puis est arrivé le moment où la décision de sortir de la lumière de la scène pour se consacrer au métier de costumier s’est imposée et depuis Claudio explore son art et l’exerce dans plusieurs domaines comme la danse, les marionnettes ou les arts du cirque.

Aujourd’hui, tout en continuant ses réalisations personnelles, il est intégré dans l’équipe d’un grand cabaret parisien et a pour mission de maintenir en bon état les tenues des danseurs et danseuses. Il répare, réajuste, consolide, raccommode les costumes pour que chaque soir sur scène la magie opère devant des spectateurs qui n’imaginent pas le nombre de petits points patiemment tirés, discrets mais solides. Dans ces métiers, tout comme le brin de folie, la patience est une vertu nécessaire au processus créatif.

La technique a aussi son importance. Comme dans la mode, il y a un designer puis un « lecteur du dessin » qui prend les décisions du volume. Souvent, il va voir le ferrier pour commander les carcasses qui vont se glisser sous les jupes et leur donner du volume ou encore le plumassier pour les coiffes et autres ornements. Les costumes doivent s’adapter aux mouvements du danseur. S’ils ne sont pas confortables, c’est pour contraindre aussi la façon de bouger de celui qui le porte. Mais pour le cabaret la fonctionnalité et le rendu priment.

La technique doit être au service des nécessités et on peut faire de 100 façons différentes. Pour l’ourlet par exemple, au théâtre on se sert beaucoup du point chausson qui permet aux deux épaisseurs de tissu de bouger sans craquer le fil, mais le point arrière peut aussi être utilisé. Ce qui est important est de faire de façon à ce que le résultat convienne et que cela soit beau. Et puis il faut connaître l’usage qui va être fait du vêtement. Lorsque le costume est éphémère, c’est l’inventivité qui compte et pas la technique. Si c’est pour un danseur de cabaret, il doit être fonctionnel et solide pour durer le temps de la revue mais aussi original pour ne pas copier des choses qui existent déjà. Bref, c’est comme un cocktail ou une formule, on mixte plusieurs ingrédients. Pour Claudio pouvoir observer les toilettes du cabaret reste toujours une émotion.

Gare à celui qui va lui dire que la mode n’est que frivolité ! Il s’indigne et cite l’exemple de la femme qui a libéré son corps du corset, des robes qui se sont raccourcies et des décolletés qui se sont approfondis marquant la féminité. Le fait que la mode ne soit pas anodine est aussi ce qu’il transmet aux jeunes qui, passant dans son atelier, apprennent à prendre le temps qu’il faut pour savoir coudre.Au rythme de l’aiguille l’ouvrage avance et celui qui opère reste concentré et médite.
En accord avec l’artiste japonaise Rieko Koga, Claudio dit que coudre est aussi un acte spirituel.

Puis d’un saut, son esprit vagabonde ailleurs et il se met à disserter sur la notion de beau. Qu’est-ce qui est beau ? Que veut dire beau ? élégant, de bon goût, esthétique, fin ? Est-ce que ce qui étrange est beau ? Il nous arrive de trouver qu’un vêtement n’est pas beau mais qu’il est intéressant. Dans ce cas on porte un autre regard sur le vêtement et ce qui est beau c’est la démarche du créateur, le développement de la matière, la recherche de nouvelles formes et de nouvelles lignes.

La mode s’engage pour le climat

Défilé la mode s'engage pour le climatphotographies ©Luc Valigny ©Guillaume Landry ©Pablo Grand Mourcel

Le colloque “Changer la mode pour le climat : comment réduire l’impact environnemental de la Mode ?”, organisé par Universal Love[1] s’est déroulé en 3 temps : une journée d’interventions avec des tables rondes, un défilé et une soirée autour de la projection du film réalisé pendant les journées de travail, prétexte à favoriser les rencontres, liens et échanges entre les acteurs concernés par le sujet.

La mode avec son image de superficialité, ses directeurs artistiques starifiés est souvent dans l’imaginaire collectif symbolisé par le luxe inaccessible porté par les people, allant de soirées en défilés et posant pour les magazines.

Ou a contrario, et ce n’est guère plus gratifiant, la mode est une des industries les plus polluantes au monde (teintures, transports, entretien…), très énergivore en matières premières et peu respectueuse des droits humains dans plusieurs de pays.

Mais la mode c’est aussi, des manufactures, des emplois, des savoir-faire parfois proches de la virtuosité, des nouveaux créateurs qui rêvent de mettre leurs inspirations dans le monde. Et les acteurs du secteur, soucieux de la santé de notre planète et de ses habitants, sont en réflexion constante pour que la filière s’engage pour la protection de l’environnement.

Un programme jalonné de questionnements, d’échanges et de réponses avec une grande diversité thématique. Savoir biosourcer et éco-concevoir, revaloriser le produit en fin de cycle, diminuer les impacts des procédés polluants, allier créativité et contraintes environnementales et sociales, la fonction des chartes et des labels, les enjeux de la relocalisation de la production, transformer nos déchets en ressources, savoir calculer l’impact du choix de sourcing, etc….

Les solutions, s’appuyant dans certains cas sur des innovations technologiques et  les bonnes pratiques, ont été évoquées pour toutes les étapes du cycle de production.

Le défilé haut en couleur vitrine de tous les possibles, ultime démonstration qu’un vêtement éthique et écologique est aussi à la mode.

Et enfin une Charte d’engagement de la Mode pour le Climat a été signée par les principaux acteurs du secteur et la Ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, Ségolène Royal.

Pour écouter ce qui a été dit au cours des tables rondes et regarder le défilé, rendez-vous sur le site web : http://changerlamodepourleclimat.fr.

photographies ©Luc Valigny ©Guillaume Landry ©Pablo Grand Mourcel

[1] http://www.universallove.fr/association.htmlUniversal Love est une association qui défend depuis 1995 une création qui a du cœur et qui promeut la mode éthique.