Le retour du bleu de travail dans les collections de mode : phénomène de mode lié à une recherche d’authenticité ou hommage aux ouvriers des manufactures ?

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Crédit photo : nypl.digitalcollections

Dans les collections récentes et à venir, les vêtements inspirés du « bleu de travail » se taillent une jolie place au sein des marques de mode.

Curieuse de l’histoire de marques anciennes comme récentes, ce « fait de mode » m’a d’autant plus interpellé qu’il est récurrent même si c’est à intervalles non réguliers.

Il suscite donc quelques commentaires et je vous livre les miens, espérant en retour, vos remarques.

 

Le bleu de travail est né à la fin du 19ème siècle avec l’essor industriel.

C’est un vêtement professionnel pratique, économique et résistant pour assurer la protection et la sécurité des ouvriers. Il indique aussi, tel un uniforme, l’appartenance de celui qui le porte au monde ouvrier. Sa couleur, le bleu de Prusse, peu salissante et au coût de production peu élevé était déjà utilisée pour d’autres métiers manuels pour les marins, les facteurs et militaires.

Au même moment le blue-jean sous forme de salopette apparaît aux États-Unis comme étant la tenue des ouvriers américains.

Lors des manifestations de mai 1968 les étudiants ont adopté le bleu de travail en solidarité avec les ouvriers.

 

Aujourd’hui on retrouve des vêtements, inspirés des salopettes, pantalons et combinaisons de peintres, vestes de charpentier et vestes de comptoir, bleus de chauffe, gilets de serveurs, avec une esthétique qui bien que modernisée reste fidèle aux originaux en conservant les poches pour porter les outils.

Quelques marques iconiques dans le secteur résistent comme Adolphe Lafont (1844), Bragard (1933), Duthilleul et Minart (1859) ou Vetra (1927) mais adaptation au marché oblige elles parlent plus de vêtements d’images que de bleu de travail.

 

Certains créateurs, comme Marithé et François Girbaud[1], se sont emparé du jean, l’ont transformé en lui donnant un aspect usé et en ont fait un vêtement du quotidien.

 

Plus récemment Sakina M’Sa[2], créatrice de mode, très impliqué dans le développement durable, recycle le bleu de travail et le détourne pour créer de nouvelles pièces avec l’intention clairement annoncée de faire passer les travailleurs de l’ombre du coté de la lumière.

 

Bleu de Paname, marque pour homme de fabrication française lancée en 2009 écrit sur son site : « un vêtement de travailleur « updaté » pour accompagner le labeur et la détente d’une nouvelle génération d’urbains, aux talents et modes de vie multiples ». Les deux fondateurs se sont inspirés des vêtements de travail qu’ils ont vu portés, durant leur enfance, par des membres de leurs familles.

 

Arpenteur, autre marque française créée en 2011, qui s’inspire de vêtements de l’époque comprise entre 1920 et 1950, a quant à elle mis le bleu de travail dans ses basiques.

 

Anne Monjaret, directrice de recherche au CNRS lors d’une conférence « La vie en bleu : expression de l’identité ouvrière »[3] se demande  « Que nous reste-t-il des bleus de travail ? »

 

Alors phénomène de mode lié à un besoin d’authenticité ou hommage aux ouvriers des manufactures ?

Sans doute un peu des deux car la mode est souvent liée à des faits sociaux.

La définition littéraire du mot « mode » du dictionnaire Le Petit Larousse dit que c’est une manière de vivre, de se comporter, propre à une époque, à un pays.

Si une personne porte une veste type bleu de travail, même si celle-ci est revisitée, elle veut probablement faire passer un message même s’il n’est pas toujours conscient.

 

Il y a indéniablement une tendance affirmée au casual pour allier décontraction et confort, et une volonté de revenir à une production française.

Un peu de « branchitude », probablement et espérons-le, une intention de revaloriser les métiers manuels qui aujourd’hui font cruellement défaut.

Je crois aussi à une petite part de nostalgie de la part des jeunes créateurs même s’ils s’en défendent.

Et comme les tissus utilisés sont très solides, que leur durée de vie est longue et qu’ils restent beaux en vieillissant les bleus de travail seront là dans le futur, recyclés et prêts pour de nouveaux usages.

Marie-Laurence Sapin

[1] Teaser de l’exposition « L’autre jean » de Marithé et François Girbaud – Saint Etienne octobre 2012 à mai 2013 : https://vimeo.com/57137910

[2] Sakina M’Sa et la blue line : http://www.sakinamsa.com/blue-line/

 

[3] Pour écouter le podcast de la conférence : http://www.ifm-paris.com/fr/ifm/mode-luxe-design/conferences-publiques/podcasts.html?start=10