De la matière à l’objet, découvrir toutes les richesses des métiers d’art

 

mlsapin

L’intérêt grandissant pour les métiers alliant savoir-faire et création se confirme. En témoignent les divers évènements destinés à favoriser les rencontres entre professionnels, à faire connaître et valoriser les métiers de la main auprès d’un large public et à révéler de nouveaux talents.

Journées européennes des métiers d’arts, Paris Design Week ou encore Designers Days, les initiatives se multiplient. Elles sont présentes sous des formes diverses associant expositions, parcours, conférences, workshops, démonstrations de savoir-faire et projections de documentaires.

Le second week-end du mois d’octobre a été riche de ces manifestations en Ile-de-France avec deux premières éditions : les « Journées des savoir-faire d’Excellence » pour les dix ans du label Entreprises du Patrimoine Vivant et les journées de l’artisanat à Belleville.

Il était également possible de profiter de la treizième édition des portes ouvertes des ateliers d’artistes montreuillois et de la quatrième édition de la désormais installée biennale des métiers d’art à Pantin renommée Émergences.

Autant de moments d’échanges et de partages avec les acteurs de ces métiers qui sont toujours prêts à parler de leur art et de leurs démarches à des visiteurs friands de comprendre ce qui les anime.

Des conversations autour des sources d’inspiration, du lien entre l’artisan et la matière qu’il travaille, de la trace de sa sensibilité dans sa création, et en conséquence de l’histoire que raconte l’objet créé ou encore de ce que l’action de fabriquer révèle de soi-même ont été entendues partout où ces manifestations ont pris place.

Des tables rondes ont proposé des réponses à des questionnements :

Quelle est la rémunération juste pour les artisans d’art ?

Quelles sont les innovations dans le secteur de l’artisanat d’art ?

Quels sont les enjeux de l’artisanat au cœur de la ville ?

Qu’est-ce que le e-textile ?

Et enfin des conférences sur les nouvelles recherches autour de la teinture naturelle ou la nécessité d’un incubateur pour accompagner les jeunes marques de mode ont apporté des informations appropriées aux besoins et préoccupations actuelles de tous ceux qui travaillent dans le secteur.

Ces expositions et rencontres ont été également l’occasion de mettre en avant des métiers pour lesquels la valeur du temps compte. Le temps infini de l’apprentissage du geste et de la matière mais aussi le temps incompressible de la réalisation de l’objet.

Un temps auquel s’associent la patience, l’habileté, le soin, la préoccupation du travail bien fait et du renouvellement indispensable.

Depuis toujours les artisans d’art qui reçoivent en héritage les techniques de leurs ainés, ont su se les approprier pour avancer sur de nouveaux chemins. Inventer de nouveaux designs et tester des associations de matières singulières permet de générer des dialogues entre les matériaux et leurs créateurs.

Ces visites offrent toujours une jolie parenthèse et témoignent d’un renouveau des métiers d’art qui petit à petit reprennent leur place au cœur des villes et constituent ce que l’on appelle l’économie créative.

 

 

 

 

 

 

 

 

Pousser la porte des ateliers et des manufactures et devenez le témoin privilégié des savoir-faire d’hier et de demain.

Cité de la dentelle - Calais

Cité de la dentelle – Calais

 

La période estivale et les vacances qui y sont souvent associées sont l’occasion de ralentir le rythme.

Pour agrémenter cette parenthèse et sortir des sentiers battus, pourquoi ne pas partir à la recherche des trésors du patrimoine vivant français ?

Savourer avec gourmandise les spécialités culinaires du lieu qui nous accueille mais également découvrir les savoir-faire d’une région ainsi les hommes et les femmes qui les exercent.

 

Observer les gestes, apprendre des matières, comprendre les étapes des processus de fabrication, la visite d’ateliers, laboratoires et autres lieux de fabrication, selon votre choix, vous transporteront dans des univers où le temps est suspendu et où vos sens seront en éveil.

Sentir le lien de l’artisan avec la matière qu’il travaille ou celui de l’opérateur avec la machine qu’il actionne et qu’il « bichonne » vous donneront la dimension de leur engagement.

Et même s’ils ne révèlent jamais tous les secrets de fabrication qui font leur spécificité ou que le processus créatif reste un mystère, ces rencontres et les échanges vous nourriront différemment.

Deux sites spécialisés dans l’organisation de visites pourront vous guider votre sélection avec des possibilités de recherches par centre d’intérêt ou situation géographique.

https://wesavoirfaire.com

Explorer le Made In France des parapluies de Cherbourg au Musée de l’Impression sur Étoffe. Un large choix pour le textile et la mode mais aussi pour la décoration, la nature, l’art culinaire, les loisirs et même l’énergie. Des propositions d’itinéraires et un magazine en ligne avec articles et reportages vidéo.

http://www.entrepriseetdecouverte.fr

Élargir l’offre culturelle avec le tourisme industriel. Alimentaire, vin et spiritueux , artisanat, environnement et énergie, mode et cosmétique et industries technologiques vous trouverez sur le site la présentation des entreprises qui ouvrent leurs portes. Il y a aussi la possibilité de bénéficier de visites sur mesure de sites habituellement fermés.

Pour compléter, les ateliers d’art de France propose un répertoire des ateliers et associations :

https://www.ateliersdart.com

Et l’institut national des métiers d’art ont établi une carte des métiers d’art en région

http://www.institut-metiersdart.org

Les syndicats d’initiative et la presse papier sont aussi de précieuses sources d’information pour cette période estivale.

 

 

 

Préserver des savoir-faire c’est aussi conserver des emplois 

 

Crédit photo : Bernard Jaillet

Crédit photo : Bernard Jaillet

De nombreux savoir-faire sont exercés dans les métiers de la mode. Certains sont connus par le biais des métiers d’art, d’autres sont plus invisibles, mais bien réels et présents, dans les ateliers des usines. Tous participent à l’identité de la région où ils sont implantés.                                                                                                         

Un savoir-faire qui disparaît c’est une technique qui se perd, mais ce sont aussi des personnes qui sont privées de leur emploi.                                                                                                                                                                                                

Les logiques économiques implacables menacent souvent ces métiers et ceux qui les exercent parce que le temps d’apprentissage est long, mais aussi, parce que celui de la fabrication dans lequel intervient la main de l’homme a un coût.

Quelles sont les pistes pour conserver ce patrimoine humain ?

Les labels et titres métiers

Ils donnent de la visibilité à l’entreprise et ses produits et participent à sa renommée notamment à l’export.

Le label EPV – entreprises du patrimoine vivant – par exemple se positionne clairement comme étant l’ambassadeur de l’excellence du « made in France ». Les maîtres d’art, les meilleurs ouvriers de France sont les garants de savoir faire et de leur maintien .                                                                                                                                                                                                                   Ceux qui certifient l’origine d’une région comme France Terre Textile (Vosges, Alsace, Nord, et Rhône-Alpes Auvergne) revendiquent une production en France, donc des emplois.

Tous attestent de la reconnaissance d’une qualité et d’un savoir-faire qui peuvent déclencher un achat responsable de la part du « consom’acteur ».

Prêter attention aux archives et au patrimoine historique des entreprises

Mettre à l’abri et organiser les archives d’une entreprise et écrire son histoire participent à la préservation des savoir-faire. Ordonner les documents d’archives mais aussi le parc des machines et des outils, conserver les brevets, écrire les procédés de fabrication sont des éléments qui font partie de la valeur marchande en cas de cession et de transmission de l’entreprise.

Une entreprise qui perdure dans le temps maintient des emplois.

L’engagement des entreprises

Certains grands groupes poussés par la nécessité et parce qu’ils ont besoin de sécuriser leurs approvisionnements ont racheté des entreprises aux savoir-faire précieux. D’autres entreprises plus petites rachètent des machines, récréer de l’activité et embauchent.

Soutenir la formation/apprentissage

Eviter la fermeture d’entreprises et la perte de savoir-faire rares par manque de relève est un risque bien réel.  Les métiers de la main ont souffert d’un manque de reconnaissance pendant de nombreuses années. Cette tendance commence à s’inverser en raison des possibilités d’emplois que cela laisse entrevoir. Un engouement commence de se faire sentir chez les jeunes qui sont en recherche de sens et de passion pour leur activité professionnelle.

La mise en place de formations ayant la même valeur que les cursus classiques – littéraires ou scientifiques – serait indéniablement un plus. Citons l’exemple de l’Angleterre avec l’école « Plymouth  school of creative arts » qui est déjà engagée dans ce chemin.

Créer de l’activité et donc de l’emploi à partir des savoir-faire, motive bon nombre d’associations d’insertion.

L’action des fédérations, unions et syndicats, institutions, etc… qui accompagnent les métiers sont aussi des facteurs importants pour soutenir les acteurs du secteur.

LE GANT SOUS TOUTES SES COUTURES

Tableaux de mesures et tailles des gants

La ganterie fait partie de ces savoir-faire précieux qui, malgré les difficultés rencontrées, traversent les siècles en perpétuant la tradition.Trois régions en France continuent à faire vivre ce patrimoine, la région de Grenoble en Isère, celle de Saint-Junien en Haute-Vienne et celle de Millau dans l’Aveyron.

L’histoire du gant est ancienne. Nous en avons pour preuve un gant d’archer – en cuir tressé – retrouvé dans la tombe de Toutankhamon. Bien avant cela, des peintures rupestres, datant du paléolithique supérieur et représentant des formes de protection de la main ont été découvertes dans une grotte près de Marseille[1].

La nécessité de protéger sa main, les usages et les élégances, ont fait du gant, au fil des époques, un objet utilitaire, de bienséance, de coutumes et de mode.

Certaines expressions imagées perdurent telles des témoins de sa place au sein de la société : aller comme un gant, souple comme un gant, jeter ou ramasser le gant, une main de fer dans un gant de velours, etc.

Le musée de la ganterie Jouvin à Grenoble

Entrer dans le musée c’est s’apprêter à découvrir quelques merveilles et à écouter une histoire.

– Celle d’un lieu, une salle capitulaire du 16 ème siècle car à son origine l’immeuble était un prieuré rattaché à l’église Saint-Laurent.

– Celle d’une famille – les Jouvin – avec Xavier, un gantier féru d’innovation qui va dès 1834 révolutionner le métier.

Le gardien du trésor n’est autre que son arrière, arrière-petit-fils, qui raconte aux visiteurs, l’histoire de cette famille, parfois tumultueuse comme peuvent l’être les eaux de l’Isère descendues des montagnes.

Xavier Jouvin a monté sa première entreprise, “ les gants Jouvin” en 1839 avec son demi-frère. En 1843, un associé supplémentaire apportant des capitaux est arrivé et l’entreprise a commencé à augmenter son chiffre d’affaires.

Xavier Jouvin est mort très peu de temps après, en 1844, mais la société qui avait la propriété des brevets a continué son chemin sous le nom “Jouvin et compagnie”.

Son épouse, héritière des brevets, l’a quittée mais continuait à couper des gants exclusivement pour son beau-frère.

En 1849, les brevets sont tombés dans le domaine public et les deux associés ont mis Madame Jouvin à l’écart puisqu’ils pouvaient, à partir de cette date, utiliser la technique librement.

La veuve Jouvin, qui s’est alors retrouvée avec un immeuble, des coupeurs mais plus de débouchés, a créé sa propre ganterie : Veuve Xavier Jouvin et Compagnie. Son beau-frère a eu beau lui intenter des procès pour l’empêcher de le concurrencer, elle les a gagnés et a conservé la marque.

Ainsi en 1849, cette ganterie fabriquait 44 000 douzaines de paires de gants par an sur les 250 000 douzaines fabriquées à Grenoble.

100 personnes étaient employées dans l’atelier Jouvin et plus de 1000 “couseuses” travaillaient à la pièce chez elles.

L’âge d’or de la ganterie Grenobloise

 Entre 1850 et 1870 le chiffre d’affaires de la production de gants à Grenoble passe de 9 à 30 millions de francs et le nombre d’entreprises de ganterie de 75 à 175. Elles réalisent le tiers de la production française.

En conséquence la population de la ville, qui vit de cette activité et de ses annexes comme la teinturerie et la megisserie passe de 27000 à 40000 habitants dont un grand nombre d’ouvriers dédiés cette industrie manuelle.

Sur tous les gants de Grenoble, on trouvait l’indication “Coupe Jouvin” car même ceux qui n’étaient pas de la marque revendiquaient le procédé.

La renommée du gant de Grenoble arrive jusqu’au couple impérial (Napoléon III et Eugénie de Montijo) avec la remise en 1860, par quatre jeunes filles dont Rose Jouvin – fille de Xavier Jouvin – de deux corbeilles de 25 paires de gants. Quatre cinquièmes de la production sort des frontières françaises pour s’exporter Angleterre et aux Etats-Unis.

Aux mêmes dates, la maison Jouvin a deux magasins à Paris, un à Londres et un autre à New York.

A partir de 1880, la société Perrin – une autre grosse ganterie de Grenoble – introduit les premières machines à coudre. Le temps de fabrication d’une paire de gants s’accélère et divise par deux le nombre des “couseuses”.

Deux brevets sont à l’actif de Xavier Jouvin

 Xavier Jouvin a tout d’abord inventé la notion de pointure.

Avant cela, pour fabriquer une paire de gants on posait sa main sur la matière et on tournait autour.

Xavier a commencé par une observation anatomique de mains des patients à l’hôpital de Grenoble.

La prise de leurs mesures a amené à normaliser les tailles : 320 exactement, répertoriées sous la forme d’un tableau breveté en 1834. Auxquelles s’ajoutent des catégories qui représentent le volume : petite main, effilée, grande, large.

Pour trouver sa taille, rien de plus simple, on mesurait le tour de sa main au niveau de la paume et en reportant la mesure sur le tableau on trouvait le calibre qu’il fallait utiliser pour couper le gant.

Tant que le sur-mesure a existé, soit jusqu’à la fin du 19ème siècle, ce système a été utilisé.

Puis avec l’apparition des grands magasins et la vente de gants déjà fabriqués, le nombre de tailles a été réduit.

Le second brevet de 1836 est celui de “la main de fer” utilisée pour couper le cuir. Un étavillon (rectangle de peau) est posé sur cette main de fer et l’artisan tournait autour avec un tranchet pour couper le cuir.

Dès 1838, ce système a été amélioré par une plaque répulsive : tous les doigts sont entourés d’une lame de rasoir ce qui en fait un emporte-pièces. On place le tout sous presse et cela coupe plusieurs peaux en une seule fois.

Connaître la matière pour la travailler

Chez Jouvin et à Grenoble seule la peau de chevreau était utilisée en raison de sa finesse et de sa résistance. Le chevreau élevé en région Dauphinoise, dont les peaux étaient achetées après mégisserie, étaient triées en fonction de leur souplesse et de la finesse de leur grain, puis teintes.

Le “prétant”[2] – 15 % en longueur et de 45% en largeur – détermine le nombre de gants qui pourront être coupés, soit quatre par animal maximum.

Les peaux sont minutieusement inspectées au moment de la coupe pour placer les défauts au niveau des coutures ou des entre-doigts ou fourchettes si on emploie le vrai mot du métier.

Des machines-outils plus un sacré tour de main

Plusieurs machines sont utilisées pour la fabrication des gants.

La “main de fer” bien entendu, les presses manuelles puis électriques – celles de Raymond Bouton Grenoblois qui a inventé le bouton pression – et les machines à coudre et les mains chaudes.

L’étape de la couture demande minutie et finesse que ce soit pour la couture surjet – peaux bord à bord maintenues par un point zigzag -, ou le piqué anglais qui superpose les deux peaux et les pique ensemble. Dans ce cas, la tranche de la peau restée apparente était teinte.

Avant le montage, on pouvait broder le gant pour lui apporter une fantaisie, avec par exemple, le point de Beauvais.

Une bonne ouvrière “sortait” 30 paires de gants par jour.

Et enfin, on glisse le gant sur la main chaude pour le lisser.

Marie-Laurence Sapin